Chisato Tanaka, la part sombre du rêve

Dans ces tableaux entre songes et contes, l'artiste trace les nuances du noir et en fait jaillir un éclat réflexif.

19.01.2021

TexteMarie-Charlotte

Chisato Tanaka, “Float”, 2015 © Chisato Tanaka

C’est une fois la nuit tombée que les rêves s’emparent des pensées. Les yeux ouverts, Chisato Tanaka les invite sur ses toiles, entre onirisme et pénombre. Des rêveries réunies sous le nom De l’ombre naît la lumière lors d’une exposition à la galerie Pierre-Yves Caër en 2017.

Originaire de la campagne de Fukuoka, l’artiste avait pour habitude de parcourir l’obscurité, due au peu de lumières extérieures présentes aux alentours. Une sensation dont elle se souvient encore, qui lui donnait l’impression de pouvoir disparaître à tout jamais dans les ténèbres. « Ces souvenirs sont très importants pour moi dans la construction du monde que j’envisage », nous explique l’artiste.

 

Faire partie de l’histoire

Sur fond noir, son univers se déploie sous la forme de petits contes dont quelques fillettes sont les protagonistes. Seules ou à plusieurs, elles nous invitent discrètement dans leurs aventures, jusqu’à ce que l’on prenne finalement entièrement part au récit à mesure que l’on observe la scène. Frontales, elles nous fixent, nous accrochent du regard. Phrase interrogative qui ne se prononce pas, leurs visages nous sondent et nous questionnent sans que l’on puisse en déceler le sujet.

Le mystère nous pousse à l’imaginaire et l’expectation comme le veut l’artiste. « J’espère que les spectateurs auront le sentiment de faire partie du tableau, d’être vus par les gens ou d’être dans l’image. J’essaie de me projeter moi-même dans les personnages, que ce soit un individu ou un groupe. J’aimerais que les spectateurs réfléchissent à leur image lorsqu’ils se regardent ainsi dans le tableau, d’un point de vue objectif. »

 

Noir, ce n’est pas que noir

Rehaussées par des touches vives, bienveillantes ou dangereuses, ces petites histoires cultivent les oppositions. Elles flirtent entre le réel et la rêverie, le bien et le mal, le passé et le présent, la vie et la mort… Les dualités se confirment aussi par l’esthétique, cette opposition entre aplats de noir et brume de couleurs, espace de vide ou de plein. Le sol et le ciel se confondent, forçant parfois le tracé d’horizons impossibles.

« En éliminant l’arrière-plan, les spectateurs peuvent se concentrer sur la personne au centre de l’image ». Ces héroïnes, bien que figuratives, se retrouvent ainsi plongées dans un monde abstrait empreint de mystère. Le noir devient lui-même personnage et participe à la narration. « Je pense que l’utilisation de la couleur noire est une sorte de liberté, car elle pourrait se transformer en n’importe quoi ». Des songes éveillés, mais qui n’en restent pas moins des êtres nocturnes. « Beaucoup de mes œuvres dépeignent la nuit. L’obscurité de la nuit est aussi l’obscurité qui rend les gens mal à l’aise ».

Où que l’on soit dans ces tableaux, on s’égare. Si la forêt vient quelques fois nous donner des indices sur l’environnement, celle-ci est avant tout le lieu qui nous dépossède de nos repères. C’est un élément perturbateur qui décrit l’errance et la perte, celle de la vie, la mort y compris. « Depuis mon enfance, je pense à la date de ma mort, et je pense souvent au temps qu’il me reste à vivre. C’est peut-être parce que j’ai failli mourir à ma naissance que je suis sensible au danger de la mort. » Un deuil anticipé, latent, ambiant, omniprésent et noir.

« Mon œuvre Everlasting Story est influencée par la littérature pour enfants et The Neverending Story (L’histoire sans fin) de Michael Ende. Je voulais dessiner une scène de la naissance à la mort ». Cette vision singulière de l’enfance, de l’intime, détient un rôle réflexif pour celui qui le regarde et dépeint la part sombre chez l’humain. Mais si l’histoire ne s’arrêtait pas là ? Dans son exposition De l’ombre naît la lumière, Chisato Tanaka redonne à la noirceur son éclat.

 

De l’ombre naît la lumière (2017-2018), une exposition de Chisato Tanaka à la galerie Pierre-Yves Caër à Paris, à retrouver sur le site de l’artiste.

Chisato Tanaka, “Nostalgia”, 2015

Chisato Tanaka, “Sleeping Person”, 2015 © Chisato Tanaka

Chisato Tanaka, “Fighting-Person”, 2015 © Chisato Tanaka

Chisato Tanaka, “Front and Back”, 2015 © Chisato Tanaka

Chisato Tanaka, “Line-Up”, 2015 © Chisato Tanaka

Chisato Tanaka, “BOM”, 2015 © Chisato Tanaka

Chisato Tanaka, “Everlasting Story”, 2015 © Chisato Tanaka

Chisato Tanaka, “White and Deep Forest”, 2011 © Chisato Tanaka

Chisato Tanaka, “Unknown Country in the Deep Forest”, 2014 © Chisato Tanaka