Daichiro Shinjo transmet l’esprit de l’île de Miyako à travers la calligraphie
L'artiste entrelace mémoire personnelle et héritage insulaire pour faire vivre, au fil du pinceau, une culture en voie de disparition.

Né en 1992, Daichiro Shinjo a grandi auprès de son grand-père moine zen. Il pratique la calligraphie depuis l’enfance. Sa première exposition solo a lieu en 2017. Il est aujourd’hui installé sur l’île de Miyako, où il ouvre la PALI GALLERY en 2022.
Alors que la plupart des enfants découvrent le dessin dès leur plus jeune âge, c’est la calligraphie qui a captivé Daichiro Shinjo, désormais basé sur l’île de Miyako.
« J’ai commencé vers quatre ou cinq ans, dans un cours local. L’enseignant était incroyablement bienveillant, ouvert. Il y avait cette liberté propre à l’enfance sur une île du sud : il ne s’agissait pas seulement d’écrire, mais aussi de sortir jouer dans la boue. Pour moi, écrire et jouer étaient indissociables. Depuis toujours, la calligraphie fait pour moi partie de la vie quotidienne, au même titre que manger ou dormir. »

Dans son atelier, toiles de chanvre et calligraphies réalisées enfant cohabitent.
Son grand-père, Keisho Okamoto, moine zen et folkloriste, a aussi marqué son parcours. Grandir entouré de peintures zen, voir son aïeul tracer des noms bouddhiques posthumes : autant de gestes qui ont ancré très tôt en lui l’usage du pinceau et de l’encre.
Daichiro Shinjo a d’abord étudié l’architecture, puis travaillé en agence. À première vue, rien de plus éloigné que le tracé d’un idéogramme et le dessin d’un bâtiment. Pourquoi ce basculement ?
« J’étais fasciné par l’idée de créer des espaces où les gens se sentent bien, c’est ce qui m’a mené à l’architecture. Mais une fois dans le monde du travail, j’ai commencé à me sentir contraint, par la société, par moi-même. L’écriture m’a aidé à traverser ça. Un jour, j’ai commencé à poster mon travail sur Instagram et, en 2017, j’ai pu tenir ma première exposition en solo à Harajuku. Cette expérience m’a fait réaliser que je voulais devenir artiste ».

Vue de sa résidence artistique à la Gallery Sukima, Tokyo. Dessins au fusain, réalisés sans pinceau, accrochés au mur. Photo : Sukima
Aujourd’hui encore, chaque session d’écriture reste pour lui une forme de méditation. Encens allumé, lumière tamisée, espace préparé… il recrée un cadre propice au lâcher-prise.
« Contrairement à la peinture ou à la sculpture, la calligraphie se crée en un instant, dans un dialogue avec l’environnement. J’essaie de rendre l’espace neutre, pour m’y fondre. Quand je commence à écrire, c’est comme un second souffle, mon corps prend le relais. »
Ses grandes toiles, où les caractères deviennent presque des images, tracent un pont entre art visuel et calligraphie. Approche-t-il la composition à la manière d’un peintre, en faisant attention à l’équilibre et l’espace ?

“Untitled”, 2023 — Encre sur toile, 150 × 150 × 45 cm. La collection printemps-été 2024 de la marque Graphpaper, dirigée par Takayuki Minami, s’inspire de l’encre et des œuvres de Daichiro Shinjo. Cette pièce, exposée en boutique, met en scène la forme classique du caractère 點 (“ten”). Photo : Asuka Ito
« Peut-être que ça remonte à mon enfance, quand je dessinais librement, sans modèle. En grandissant, on apprend à faire joli, à composer, mais c’est toujours un peu forcé. Même la taille du support nous impose des limites. À mes yeux, les traits spontanés des enfants, avant même qu’ils connaissent les caractères, sont l’idéal. Je me demande toujours comment rester honnête dans un monde plein de contradictions. »
Pour Daichiro Shinjo, cette sincérité n’est pas réservée à l’enfance. Beaucoup de ses œuvres s’éloignent d’ailleurs des codes classiques de la calligraphie.

“Roots of Tokyo”, 2023 — Encre sur papier, 109,1 × 78,8 cm. Des coups de pinceau puissants traduisent le geste de l’artiste. Cette série, réalisée par lithographie sur plaques d’aluminium, capture la texture du pinceau dans l’impression. Photo : Asuka Ito

Daichiro Shinjo fabrique sa propre encre en faisant bouillir suie et colle animale — une matière périssable, à utiliser rapidement, contrairement aux encres commerciales.
Une de ces oeuvres figure dans son ouvrage Sudiru, paru en mars. Dans ce dernier, Daichiro Shinjo célèbre la culture singulière de l’île de Miyako : il y superpose des photos d’archives des rituels locaux — prises par son grand-père entre les années 1970 et 1990 —, teintes à l’indigo des Ryūkyū, et recouvertes de chants anciens retranscrits en symboles phonétiques.
Après des années passées à vivre et travailler loin de l’île, et tout en voyageant régulièrement entre Tokyo et l’étranger, Daichiro Shinjo mesure aujourd’hui la valeur unique de ce patrimoine.
« Miyako a toujours été un carrefour culturel, avec des échanges venus de Chine, de Taïwan, des Ryūkyū. Elle a toujours absorbé les influences extérieures mais ces dernières années, le développement des resorts a tout accéléré, et la culture locale disparaît. C’est pour ça que j’ai ouvert une galerie : pour la préserver, la partager. »

“Sudiru”, 2024 — Encre, indigo des Ryūkyū, papier, 42 × 59,4 cm. Inspiré des photos d’archives prises par son grand-père entre les années 1970 et 1990, ce travail associe teinture et chants traditionnels. Photo : Yuya Tamagawa

“Unframed Basho 01”, 2020 — Encre, papier, sérigraphie sur panneau, 69,5 × 135,5 cm. Réalisée en appliquant de l’encre sur des feuilles de bananier japonaises, pressées sur du papier “washi”. Exposée au 21st Century Museum of Contemporary Art, Kanazawa, dans le cadre de l’exposition “Dancing with Everything – The Ecology of Empathy”.
La PALI GALLERY a vu le jour en 2022 avec une exposition d’oeuvres du photographe Naoki Ishikawa entre autres. « Pali » signifie « champ » dans la langue locale. Elle accueille aussi un programme de résidence, invitant d’autres artistes à s’imprégner de l’île. Un espace qui agit à la fois comme tremplin créatif et comme miroir pour Daichiro Shinjo lui-même, qui redécouvre ainsi Miyako sous un nouveau jour.
À travers ses œuvres et sa galerie, l’artiste fait désormais résonner l’esprit de cette île bien au-delà de ses rivages.
Plus d’informations sur Daichiro Shinjo sur le site internet de l’artiste et sur le site internet de la PALI GALLERY.

Vue de l’exposition personnelle “Unafraid of Rain, Unafraid of Wind”, à la PALI GALLERY en 2022.

PALI GALLERY. Photo : Kenta Hasegawa
PALI GALLERY
1F Wesuya Building, 574-6 Hirara Shimozato, Miyakojima City, Okinawa
080-3958-5746
Les jours et horaires d'ouverture varient en fonction des expositions
www.paligallery.comLES PLUS POPULAIRES
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