La photographie pour enregistrer un fragment de temps

“Gûyu - Allegory” c’est le Japon de Maki et celui du public, invité à ouvrir les portes de son imaginaire face à cette série de photographies.

14.04.2022

TexteHenri Robert

“Omotesando - Tokyo” (2008)

C’est une succession de lieux, de visages, d’instants, mais aucun message ne transparaît, il est sous-jacent. Ce projet, défini comme expérimental par l’artiste, a pour objet de donner une vision personnelle, globale du Japon (de “son” Japon), de son vécu dans le pays. Il se lit dans sa globalité, au fil des « allégories » que l’on y trouve comme l’indique le titre de la série, Gûyu, qui renvoie à cette notion en japonais.

Ce témoignage personnel, fruit de déambulations entre métropoles et campagnes effectuées de 2001 à 2011, n’a pas pour sujet le drame vécu par le pays à Fukushima en 2011, et ses conséquences ; les photographies ont d’ailleurs été prises antérieurement. Pourtant, la sélection faite par Maki en 2016 marque une volonté de « faire une sorte de rappel (de ces événements) en faisant passer un message de manière détournée dans cette série », comme il l’explique à Pen.

Dans Gûyu – Allegory (2016), édité par Time Show Press, l’artiste né à Marseille associe des thèmes récurrents dans son travail. Entre Tokyo, Osaka, Kawaguchiko, Kyoto, Nagoya et bien d’autres villes, il immortalise yakuza, geishas, love hotels et clubs, marginaux et sans-abri, manifestations, la tradition et la modernité en miroir, l’histoire du Japon, la jeunesse japonaise, le quotidien du photographe, la mort…

 

Un mal sournois 

Comme le défini Clément Paradis dans le texte qui accompagne Gûyu – Allegory, « Maki est un récepteur » et ici, à travers une partie des photographies publiées en négatif, il exprime — de manière allégorique —, ce qui le touche ; en l’occurrence la « radioactivité latente et invisible mais bien présente au Japon », que l’artiste appelle « un mal sournois », et dont personne ne parlait plus lors de la sortie du livre.

À travers une vision de la photographie qu’il qualifie de « très basique, ou plutôt viscérale » — et contrairement à Japan Somewhere (2018), l’artiste expérimente dans Gûyu – Allegory une nouvelle manière de présenter le Japon. « Ces photos sont directes, publiées pour ce qu’elles sont, laissant libre cours aux allégories que leurs combinaisons pourraient susciter dans l’imagination des gens. Il faut donc les prendre telles quelles sont et en faire sa propre interprétation en ayant en tête une vision globale de la série » poursuit Maki.

Si les dates et lieux où ont été prises les photographies sont précisés à la fin de l’ouvrage, permettant une deuxième lecture propre à chacune d’elle, l’artiste insiste sur sa manière d’aborder la temporalité. « La photographie est pour moi un moyen d’enregistrer un fragment de temps pour ne pas l’oublier tout en y exprimant des choses personnelles, la rencontre du passé et du présent… L’idée de mémoire est depuis toujours un élément très présent dans mon travail et c’est aussi ce qui guide mes choix de photos pour construire mes livres. » Le photographe confie par ailleurs avoir été choqué par la manière dont le gouvernement japonais a minimisé l’ampleur de la catastrophe dans la centrale nucléaire de Fukushima et également l’attitude des médias internationaux qui se sont rapidement désintéressés des conséquences de ces événements.

Dans ce que Clément Paradis qualifie de « mandala monochromatique », Maki met en lumière la capacité de la photographie à être un « médiateur », permettant, à travers ces scènes banales, de révéler les « traces de nos temps inquiets. »

 

Gûyu – Allegory (2016), une série de photographies par Maki éditée par Time Show Press.

Une édition spéciale de ce livre a été publiée sous forme de deux séries de 15 exemplaires, dans une boîte en métal sérigraphiée contenant également un tirage original argentique tiré par le photographe, signé et numéroté. Deux tirages différents (soit 2 séries de 15 exemplaires) sont disponibles sur le site de Time Show Press.

 

L’artiste publie chaque jour sur son compte Instagram une photographie de son travail sur le Japon.

“Roppongi - Tokyo” (2008)

“Angel - Kawaguchiko” (2008)

“Salary man - Shin Okubo station - Tokyo” (2008)

“Kyoto” (2005)

“Hostess - Osaka - kita shinchi” (2010)

“Ryokan room - Kawaguchiko” (2008)