La scène garage-punk de Tokyo vue par Mark Farmer

La journée, ce sont des employés, tout ce qu’il y a de plus normal. Et puis la nuit libère ces bêtes de scènes, faisant battre leurs cœurs.

21.09.2021

TexteHenri Robert

© Mark Farmer

Entre 2015 et 2021, le photographe Mark Farmer s’est immergé dans la scène garage-punk de la capitale japonaise, un univers qui défie les codes, pour le meilleur.

Auteur et photojournaliste — notamment militaire —, depuis qu’il a 15 ans, Mark Farmer a vécu pendant 30 ans en Alaska. Il a entre autres travaillé avec l’Associated Press. Fasciné par le Japon, il a passé ces dix dernières années dans le quartier de Nakano à Tokyo, avant de s’installer sur l’île de Saipan en août 2021.

 

Excès de vie

Le garage-punk, apparu aux États-Unis dans les années 1960, est un genre musical associant garage rock et punk rock moderne. Afin de pénétrer cet univers, Mark Farmer s’est rapproché de ses acteurs, dans une série de lieux tokyoïtes tels que le Club Heavy Sick à Hatagaya, l’UFO Club à Higashi-Koenji, l’EarthDom à Shin Okubo, l’Ogikubo Pit Bar à Ogikubo, le Club Cactus à Roppongi ou la Guinguette by MOJA à Shibuya.

L’ensemble des clichés réunis dans cette série ont été réalisés avec un iPhone, pour deux raisons : « D’une part ils sont largement suffisants à la fois pour réaliser des photos professionnelles et celles du quotidien, et par ailleurs, je trouve qu’un smartphone est moins intrusif, cela modifie moins les comportements des gens », nous explique le photographe, qui juge que souvent cette question technique est un piège, une obsession dans laquelle tombent nombre de photographes, qui ne donnent vie aux photographies qu’à travers le processus de traitement de leurs clichés. « L’utilisation d’un smartphone me libère, je peux mieux observer la situation, au-delà du simple contrôle de l’exposition/mise au point et du recadrage. »

Les photographies réalisées en noir et blanc par Mark Farmer présentent des artistes en pleine action, mais également des moments partagés par les membres de cette communauté, faits de sourires, « d’excès de vie. » « C’est peut-être évident, les images sont imparfaites et en basse qualité ; elles font écho à la nature de la musique », poursuit Mark Farmer. Si les personnalités et l’univers propres au garage-punk peuvent au premier abord éloigner le regard d’un public non-initié, l’expérience du photographe permet de dépasser les clichés.

On peut ainsi penser que ces personnalités ont une vie rock’n’roll. Pourtant, « presque tous travaillent la journée, certains dans de grandes entreprises ou sont fonctionnaires, d’autres sont éboueurs, ou travaillent dans le burlesque. Mais ces emplois paient simplement les factures et offrent un peu de stabilité (en particulier dans une société qui l’apprécie autant). Sous les uniformes, les tenues de travail, les paillettes, ou les blouses d’ouvriers, battent le cœur des fauves et des monstres musicaux. Une partie d’entre eux a enregistré des albums et a un public international, mais aucun de ces artistes n’est sur la scène pour gagner de l’argent. Il s’agit de célébrer l’art, de trouver un moyen de construire une communauté alternative dans un pays qui souvent n’apprécie pas les contradicteurs, ceux qui ne rentrent pas dans le moule. »

 

Obscur et attachant

Le garage-punk, dont la production repose principalement sur le jeu de guitare est « souvent minimaliste ; de vieux amplis à lampes, pas de traitement vocal et généralement les seuls effets ajoutés sont de l’overdrive, du fuzz et de la reverb. Quant à l’esthétique, elle associe cuir, peau de requin et coiffures obscures… » Si certains jugent cet univers (et ses membres) inhospitalier, le photographe nous confie désormais « les trouver attachants. »

Dans ce type de projets, l’un des plus grands défis à affronter pour un photographe est de se fondre dans la communauté qu’il souhaite mettre en lumière, nouer des liens avec ses membres. La rencontre entre Mark Farmer et les acteurs de la scène garage-punk permet, comme il en témoigne, de démonter certains clichés souvent associés à ces cercles ésotériques. Comme nous explique le photographe, alors que cet univers semble clos, et que son « style de reportage peut déplaire, je ne m’attendais pas forcément à être accepté, et le fait d’avoir été accueilli au sein de cette famille est une énorme victoire… J’ai notamment expliqué aux gens que l’objectif n’était pas ici de gagner de l’argent ou de gagner en notoriété en me basant sur le travail d’autres personnes. »

Au-delà de la relation nouée avec ses membres, Mark Farmer retient la bienveillance des artistes, l’inclusivité de cet univers. « Les femmes et les hommes sont sur un pied d’égalité, et les jeunes artistes et fans sont les bienvenus. C’est de la musique et bien sûr il y a des drames personnels… mais je n’ai jamais vu de comportements abusifs. »

 

Le travail de Mark Farmer est à suivre sur sa page Instagram.

© Mark Farmer

© Mark Farmer

© Mark Farmer

© Mark Farmer

© Mark Farmer

© Mark Farmer

© Mark Farmer