L’art brut japonais mis au jour par la France est de retour

03.03.2019

WordsRebecca Zissmann

©Takeru AOKI

Minuscules dans leur vitrine, les figurines animales de Yoshihiro Watanabe semblent composées de papier brun foncé. À y regarder de plus près, ce sont des feuilles mortes de chêne qui ont donné forme à ce troupeau de chiens, de girafes, de souris ou encore de serpents. Ces ohira (“feuilles pliées” en japonais) sont peu conventionnelles car leur créateur se joue des règles traditionnelles de l’origami.

C’est là le cœur de l’art brut, art qui ne s’embarrasse d’aucun diktat car il est l’expression pure de la sensibilité personnelle du créateur. Beaucoup souffrent de dysfonctionnements intellectuels et de difficultés d’adaptation à leur société. Des handicaps qui ne les empêchent pourtant pas de réinterpréter leur culture et de dépeindre leur environnement avec justesse et émotion. C’est donc une autre vision de la culture japonaise qui attend le visiteur de l’exposition “Art Brut Japonais II” à la Halle Saint-Pierre à Paris jusqu’au 10 mars 2019 dans le cadre du tandem Paris-Tokyo.

Parmi les œuvres exposées, certaines reprennent à leur compte des arts nippons traditionnels comme la céramique. C’est le cas des sculptures monstrueuses de Shinichi Sawada, rougeaudes, hérissées de pics et aux yeux proéminents, qui se distinguent des poteries conventionnelles aux lignes pures et aux fonctions utilitaires. Ce détournement des codes associés à la céramique plait et Sawada fait partie des premiers artistes d’art brut japonais à être reconnus sur la scène d’art internationale. Ses œuvres ont notamment été exposées à la 55e Biennale de Venise en 2013.

L’art brut est aussi matière d’obsessions et l’on en découvre ici des proprement japonaises. Takumi Matsuhashi, né avec des troubles autistiques, développe ainsi le thème des camions auquel il est très attaché depuis tout petit. Il dessine au feutre des poids lourds de couleurs vives, rouge ou bleu, dont il a gardé en mémoire tous les détails.

La question de la reconnaissance de l’art brut se pose très vite au vu du talent de certains artistes exposés. Marie Suzuki, déjà présente lors de l’exposition « Art Brut japonais » en 2010-2011, a assurément l’étoffe des plus grands artistes contemporains. Elle a peint ici des paravents qui évoquent la chair dans ce qu’elle a de plus animal, optant pour une variété de nuances de rouge qui sied à son obsession pour les organes génitaux. La finesse des motifs dont elle remplit ses formes ondulées rappelle quant à elle les imprimés traditionnels des kimonos.

Marie Suzuki était pourtant encore il y a peu une inconnue au Japon. Si l’art brut est reconnu comme une forme d’art alternatif en Europe dès 1945 grâce au travail de Jean Dubuffet, il n’émerge au Japon qu’en 2008 et encore, suite à une exposition hors du pays. C’est le succès de l’exposition « Art Brut Japonais », organisée à la Halle Saint-Pierre à Paris en 2010-2011 et son voyage dans tout le Japon pendant les trois années qui ont suivi qui ont opéré une prise de conscience. Le Japon change de regard sur les œuvres créées par des personnes issues de handicap et sur la place que ces personnes peuvent avoir dans la société japonaise. Et cela, parce que la reconnaissance des artistes d’art brut japonais en France a servi de détonateur.

©Yoshihiro WATANABE

©Hiroshi FUKAO

©Marie SUZUKI

©Takumi MATSUHASHI

©Reiichi HAYASHIDA

Halle Saint-Pierre

2 Rue Ronsard, 75018 Paris

Jusqu'au 10 mars 2019

www.hallesaintpierre.org/