Le “wa”, un modèle d’harmonie, du Japon au Mexique

Dans la série サ和ロ (saWAro), la photographe Taeko Nomiya relie ses deux cultures, portées par une même philosophie.

23.11.2021

TexteHenri Robert

“カラオケ{karaoke}. Baja California Sur / Otakibashi Dori, Tokio”.

C’est une histoire de connexions, de mouvements, de mots. C’est une manière de refléter et d’illustrer une existence, nourrie par une double culture, japonaise et mexicaine. Née en 1990 à Mexico de parents japonais, Taeko Nomiya a évolué dans un cadre familial fidèle à la culture japonaise, associé à un environnement mexicain.

Dans la série サ和ロ (saWAro) la photographe propose une rencontre entre le mot espagnol saguaro, qui désigne des cactus géants — pouvant atteindre 13 mètres et vivre 150 ans —, et le terme japonais, wa (和). Ce dernier, né en Chine au IIIème siècle pour désigner le Japon, fut inscrit dans la première constitution du pays rédigée en 604, et désigne une « valeur éminemment respectable, reposant sur un principe, qui est d’éviter toute discorde ».

 

Deux pays coexistant dans un même espace mental

« Quand j’étais enfant, mes parents m’emmenaient au Japon pendant les vacances et j’apportais des photos du Mexique que je montrais à mes cousins japonais, afin de leur présenter la vie au Mexique. Je prenais ensuite des photos au Japon et je les rapportais au Mexique pour montrer le Japon à mes amis mexicains. Il y a trois ans, j’ai été invitée à participer à une exposition à Tokyo. C’était la première fois que je présentais publiquement mes photos, à des inconnus, et elles ont attiré l’attention. J’ai ensuite eu l’idée de combiner une photo du Japon et une photo du Mexique pour montrer aux gens le monde dans lequel je vis réellement. Un monde où le Japon et le Mexique ne sont pas à l’autre bout de la planète, mais où ils coexistent dans un même espace mental », explique Taeko Nomiya à Pen.

Visant à illustrer la proximité que l’artiste perçoit entre les deux pays et cultures, la série サ和ロ (saWAro) propose des montages photographiques qui associent des vues des deux environnements. Ainsi, les cactus de Baja California Sur se confondent avec les néons capturés dans le quartier tokyoïte d’Otakibashi Dori, tandis que ceux de Guadalupe Tulcingo rencontrent les panneaux lumineux d’une enseigne du quartier de Shinjuku.

« Davantage que d’essayer de donner un sens précis à chaque image ou de faire passer un message à travers celles-ci, je veux partager des cartes postales de ce double univers. J’aime garder un peu d’aléatoire, car j’estime que c’est davantage fidèle à l’esprit de la vie. Au quotidien, la vie nous présente des signes, mais c’est nous qui leur donnons leur sens », poursuit Taeko Nomiya.

 

Un équilibre naturel, moteur d’un écosystème

Le lien que l’artiste imagine entre ces deux pays se trouve dans l’équilibre et l’harmonie propre à la vie sociale japonaise, et celui qui permet l’existence des cactus au sein du désert mexicain. « La vie dans le désert repose sur un très bel équilibre. Si des humains venaient à tuer tous les coyotes d’un désert, leur absence pourrait provoquer une augmentation de la population de lapins. Ces derniers pourraient alors manger un certain type de cactus, ce qui pourrait conduire à leur extinction, et in fine à la mort de l’ensemble du désert. Cet équilibre fragile naît également de la rareté de l’eau. Donc davantage qu’une solidarité réelle (qui impliquerait un soutien conscient, délibéré), je pense que les éléments dans le désert se soutiennent naturellement en ne rompant pas cet équilibre », explique l’artiste.

Quant à savoir si cette idée d’une société japonaise singulière, dont le fonctionnement repose sur une harmonie entre ses différents acteurs est encore pertinente à l’heure d’une société mondialisée, la photographe juge que « c’est une réalité, surtout si on la compare à la manière dont les gens vivent en Occident (ou même dans d’autres pays asiatiques). Je dois admettre qu’un Japonais qui a maintenant 80 ans dirait que cela appartient au passé et que les nouvelles générations japonaises sont aussi individualistes que le reste du monde. Mais si vous venez d’un autre pays, je pense que tout ceci est perceptible, que c’est toujours présent. »

 

Le travail de Taeko Nomiya est à découvrir sur son site internet.

“思い返す Omoikaesu. Hyakunincho, Tokio / Guadalupe Tulcingo, Puebla”.

“山彦 Yamabiko. Decabarz, Tokio / San Ignacio, Baja California”.

“Mañana / noche. Guadalupe Tulcingo, Puebla / Shinjuku, Tokio”.

“教会 Kyokai-Iglesia. Baja California Sur / Shinjuku, Tokio”.