Photographier l’“HUMANITÉ”, KYOTOGRAPHIE 2025 (1ère partie)
Retour en images sur les expositions majeures du festival photo de Kyoto, un itinéraire à travers la mémoire, les mythes et l'identité.

“Graciela Iturbide” présentée par DIOR — À l’entrée de l’annexe du Musée d’art de Kyoto, un “noren” imprimé d’un cliché d’Iturbide donne le ton de l’exposition.
Pour sa 13e édition, KYOTOGRAPHIE investissait une fois encore ce printemps les lieux emblématiques de Kyoto. Le festival, qui s’est tenu jusqu’au 11 mai, explorait cette année le thème de l’HUMANITÉ — une invitation pour les visiteurs à reconsidérer leur rapport à l’identité, à l’histoire, et à la mémoire. Retour sur quelques expositions marquantes.
Graciela Iturbide : le mirage monochrome d’un Mexique en couleur
Présentée par DIOR dans l’annexe de l’ancien Musée municipal de Kyoto, l’exposition consacrée à la photographe mexicaine renommée Graciela Iturbide retraçait soixante ans de photographies de son pays natal et ses habitants. Une œuvre au long cours où communautés du désert, femmes Zapotec et mushe (hommes endossant des rôles féminins) composent un portrait à rebours des clichés. Si le Mexique est connu pour ses couleurs vives, Graciela Iturbide confiait : « La couleur est une illusion pour moi ; je vois la réalité en noir et blanc ».
Son œuvre révèle des contrastes saisissants : des femmes du désert au visage peint, se fondant dans la lumière, et des scènes foisonnantes de végétation et d’architectures marquées par le temps. Les installations scénographiées de l’exposition, conçues en papier washi, encadrent aussi bien les œuvres anciennes que récentes, révélant la cohérence du regard de la photographe.

Devant son œuvre iconique “Notre-Dame aux iguanes” (1979), la photographe raconte : « Elle vend vraiment des iguanes ainsi, en équilibre sur sa tête, au marché. »

Une femme du désert tient un boombox entre ses mains — contraste saisissant entre mode et nature, technologie et archaïsme.
Ode à Okinawa et à l'humanité : “Mao Ishikawa – Akabana”
Née à Okinawa sous administration américaine, Mao Ishikawa s’est imposée dès 1982 avec Hot Days in Camp Hansen, série emblématique consacrée aux soldats afro-américains stationnés sur l’île. Pour mieux comprendre leur quotidien, elle travaille dès 1975 dans un bar de Koza fréquenté par ces soldats — et les photographie, de l’intérieur.
Son approche était dénuée de distance comme de mépris : elle ne photographiait pas des « autres », mais des êtres humains. Le regard d’Ishikawa ne se portait pas sur ce qui distingue les habitants d’Okinawa des soldats américains, mais sur la dignité partagée de la vie humaine.

Les photos d’Ishikawa, prises entre 1975 et 1977, témoignent d’un métissage visuel singulier entre culture afro-américaine et ambiance Ryukyu.
Présentée par SIGMA dans le Chikuin-no-ma de Kondaya Genbei, l’exposition Akabana s’organisait en deux temps : à l’entrée, la série éponyme réalisée entre 1975 et 1977 ; au fond, des œuvres récentes issues de The Great Ryukyu Photo Scroll, prises en 2023 sur les îles de Yonaguni et Ishigaki.
L’ensemble donnait à voir la double posture d’Ishikawa : un regard de résistance face aux systèmes oppressifs, et un regard d’amour envers les individus qui les habitent.

Parfois, une simple légende suffit : « Masuo Tahata, 84 ans, victime d'agression » Hayako Shimizu, 73 ans, secrétaire du Réseau des habitants de Miyakojima contre la base de missiles. 19 mai 2022 – Garnison des Forces japonaises d’autodéfense, Miyakojima.
Réécrire les mythes indiens : “Dressing Up – Pushpamala N”
Depuis le milieu des années 1990, l’artiste indienne Pushpamala N développe une œuvre à la croisée de la photo-performance et de la mise en scène. Tour à tour actrice, metteuse en scène, productrice et scénographe, elle incarne chacun des rôles de ses fictions visuelles, souvent satiriques et résolument subversives. Son travail interroge la construction de l’identité féminine et celle de la nation, lui valant le titre d’« iconoclaste la plus réjouissante de l’art indien contemporain ».
Présentée par CHANEL Nexus Hall dans l’annexe du Musée de Kyoto, l’exposition Dressing Up – Pushpamala N réunissait plusieurs séries inspirées des grandes épopées indiennes, notamment le Ramayana.

Face à une vidéo revisitant le “Ramayana” d’un point de vue féminin, Pushpamala N commente : « Dans mes photo-performances, je suis productrice, metteuse en scène, actrice, et aussi scénographe. »
Moment fort de l’accrochage, The Arrival of Vasco da Gama rejoue la célèbre rencontre entre l’explorateur portugais et le Zamorin de Calicut, à partir d’une peinture de 1898 signée José Veloso Salgado — une relecture critique, nourrie d’une perspective postcoloniale. Les photographies étaient accompagnées des décors et accessoires originaux utilisés lors de la séance photo, révélant les coulisses de la mise en scène et invitant à imaginer les strates invisibles qui composent l’image.

“The Arrival of Vasco da Gama (D’après une peinture de 1898 par José Veloso Salgado)”, 2014.
Lee Shulman & Omar Victor Diop : les absents au centre de l’image
À la galerie Shimadai, l’exposition Lee Shulman & Omar Victor Diop (soutenue par agnès b.) présentait une série collaborative imaginée par deux photographes aux parcours très éloignés.
Réalisateur et artiste récompensé, connu pour ses travaux dans la musique et la publicité, Lee Shulman commence en 2017 à collectionner d’anciennes diapositives photographiques, achetées en vrac, sans sélection préalable. La plupart représentent des scènes de famille anonymes, des portraits de groupe pris dans les années 1950 et 1960. Attiré par leur simplicité silencieuse, il y voit des fragments intimes du quotidien du milieu du XXe siècle.
Mais un détail revient souvent : un fauteuil vide, un espace laissé en creux — comme si quelqu’un venait de quitter le cadre. Dans un contexte marqué par la ségrégation raciale et les luttes pour les droits civiques, ces absences prennent un sens plus profond.
Dans cette série à quatre mains, Shulman et l’artiste sénégalais Omar Victor Diop insèrent discrètement la figure d’un homme noir dans ces espaces vacants — un individu qui, historiquement, n’aurait pas eu sa place dans ces scènes idéalisées de prospérité. Ce geste simple, mais chargé de sens, vient interroger les exclusions raciales et sociales qui sous-tendent les représentations de l’American Dream.

À gauche, Lee Shulman, réalisateur londonien et fondateur de The Anonymous Project. À droite, Omar Victor Diop, photographe sénégalais connu pour ses autoportraits mis en scène, déjà présenté à KYOTOGRAPHIE en 2020.

Était-ce le père qui a pris cette photo de famille ? Derrière le palmier, une silhouette noire — celle d’un homme qui « n’aurait pas dû » être là. Une critique sociale aussi discrète que tranchante, renforcée par la scénographie de Miho Kotaka (APLUS DESIGNWORKS), inspirée de motifs africains.
Leur approche, à la fois subtile et percutante, montre combien la photographie peut réinventer le passé. Sur fond d’opulence d’après-guerre, leurs images donnent une place à ceux qu’on n’a pas montrés, à ceux qu’on a effacés. Elles rappellent ainsi, avec force, que la photographie ne se contente pas de documenter l’histoire : elle peut aussi la reconfigurer.

Le lieu d’exposition évoque une nostalgie feutrée, entre mobilier d’époque, appareils électroniques anciens et projections de films Super 8. En pénétrant dans la “machiya” de la galerie Shimadai, le visiteur est transporté dans un autre temps.
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