Photographier l’“HUMANITÉ”, KYOTOGRAPHIE 2025 (2e partie)

Entre coiffures sculpturales et fresques monumentales, le festival a intégré des oeuvres internationales au sein même de la ville.

01.07.2025

Texte et photographiesRyohei Nakajima

L'exposition de Laetitia Ky “A KYOTO HAIR-ITAGE” / KYOTOGRAPHIE African Residency Program. Dans la galerie marchande Demachi Masugata, où se trouve le DELTA|KYOTOGRAPHIE Permanent Space, l’artiste ivoirienne en résidence présentait une série de bannières réalisées pendant son séjour.

Jusqu’au 11 mai, le festival investissait une nouvelle fois les lieux emblématiques de Kyoto, autour du thème de l’HUMANITÉ. Après une première sélection d’expositions marquantes, ce second volet poursuit l’exploration de cet événement international résolument ancré dans la ville.

Laetitia Ky sculpte l’imaginaire avec ses propres cheveux dans “A KYOTO HAIR-ITAGE” / “LOVE & JUSTICE”

Depuis l’ouverture du DELTA|KYOTOGRAPHIE Permanent Space dans la galerie marchande Demachi Masugata en 2020, KYOTOGRAPHIE développe un projet au long cours : faire dialoguer les rues commerçantes locales avec les scènes artistiques africaines contemporaines. Chaque année, de jeunes artistes sont invités en résidence, afin d’ancrer leur pratique dans un territoire spécifique.

Cette année, l’artiste Laetitia Ky était au cœur de ce programme. Son travail s’inscrit dans une démarche de matérialisation de l’imaginaire : donner forme, à travers ses propres cheveux, à des figures élaborées et les transformer en puissants messages photographiques.

Sa seconde exposition, “LOVE & JUSTICE”, présentée à ASPHODEL dans le quartier de Gion avec le soutien de Cheerio, se déployait sur trois étages, chacun explorant une thématique distincte — des inégalités de genre à l’affirmation de soi.

Née et élevée en Côte d’Ivoire, Laetitia Ky grandit dans une société où les canons de beauté valorisent les cheveux lisses et les peaux claires. Autour d’elle, ses parentes ont recours à des traitements chimiques pour lisser leurs cheveux ou blanchir leur peau. À seize ans, un défrisage particulièrement agressif lui brûle le cuir chevelu et provoque une chute importante de cheveux. Cet épisode marque un tournant : elle décide alors de raser sa tête et d’assumer sa texture naturelle. Plus tard, elle découvre que, dans l’Afrique précoloniale, les coiffures sculptées constituaient un véritable langage visuel, porteur d’identité et de sens. Inspirée, elle commence à publier ses propres créations capillaires sur les réseaux sociaux, y intégrant des messages sur la féminité, la confiance en soi et l’émancipation.

Son travail était présenté dans deux lieux distincts. À Gion, au sein de l’espace ASPHODEL, l’exposition LOVE & JUSTICE réunissait des œuvres abordant le travail invisible des femmes, les violences fondées sur le genre et l’amour de soi abordé avec une imagerie à la fois ludique et affirmée. Dans la galerie marchande de Demachi Masugata, elle montrait une autre facette de sa pratique, célébrant la joie d’être à Kyoto et réinterprétant la culture locale à travers ses sculptures de cheveux. Ce diptyque révélait les deux versants de son travail : la force de nommer les violences, et la douceur d’un regard curieux et bienveillant sur l’altérité.

Interrogée sur ce qu’elle aime le plus en elle, Ky — qui rêve d’un monde où chacune pourrait s’accepter pleinement — répond : « Ma capacité à exprimer mes pensées de manière créative. » Son anglais, qu’elle a appris seule pour échanger avec une audience internationale grandissante, est impressionnant.

Éric Poitevin, un dialogue silencieux avec les valeurs bouddhiques dans “The Space Between”

L'exposition d'Éric Poitevin, “The Space Between”, présentée avec le soutien de Van Cleef & Arpels, a trouvé un écrin naturel dans l’atmosphère méditative du temple Ryosokuin.

Photographe français installé en Meurthe-et-Moselle, Éric Poitevin est reconnu pour ses paysages à la composition minutieuse ou ses portraits studio de faune et de flore. À KYOTOGRAPHIE, il fait le choix audacieux de quitter le cadre traditionnel blanc et carré des galeries pour investir le Ryosokuin, temple zen niché au cœur de Gion — une décision en parfaite résonance avec la dimension contemplative de son travail.

« Qu’il s’agisse d’un jardin paysager ou de la nature que je photographie, les deux sont des constructions humaines », confie-t-il. « En les mettant côte à côte, j’espère inviter le spectateur à reconsidérer la valeur même de ce que l’on appelle nature. »

Sans aucun dispositif d’exposition ajouté, ni installation spectaculaire, Poitevin opte pour une mise en espace d’une grande sobriété. Ses tirages sont directement apposés sur les panneaux coulissants fusuma du temple, dans une atmosphère sereine et immersive. L’ensemble crée un lieu de calme et de retrait, qui incarne avec justesse l’esthétique d’une intervention minimale. Peut-être un peu réservé, l’artiste s’est tout de même prêté au jeu du portrait, esquissant une pose charmante devant l’une de ses œuvres.

D’autres œuvres étaient exposées dans le pavillon de thé séparé, accessible uniquement aux participants à la cérémonie.

Éric Poitevin, baigné par la lumière filtrant depuis le jardin.

JR offre une fresque photographique à l’échelle de Kyoto avec “JR Chronicles Kyoto 2024” / “Printing the Chronicles of Kyoto”

La veille de l’ouverture officielle de KYOTOGRAPHIE, une cérémonie d’inauguration était organisée pour dévoiler l’installation côté nord de la gare de Kyoto, en présence du chef de gare et du maire de la ville. JR apparaît ici, deuxième en partant de la droite.

Lancé en 2017, le projet Chronicles de l’artiste français JR s’inspire des fresques sociales du peintre mexicain Diego Rivera (1886–1957). À l’automne 2024, JR et son équipe installent des studios mobiles dans huit lieux emblématiques de Kyoto — de la gare à l’hôtel de ville, en passant par le delta de la rivière Kamo — pour y photographier 505 habitants. Le résultat : une fresque monumentale intitulée JR Chronicles Kyoto 2024.

Tôt le matin, avant l’arrivée du public, une passante — sans doute une usagère régulière — s’arrête un instant, absorbée dans la contemplation de l’œuvre.

Chacun des 505 participants — maiko, maîtres de thé, moines, artisans, drag queens ou encore les codirecteurs de KYOTOGRAPHIE, Lucille Reyboz et Yusuke Nakanishi — a partagé son histoire personnelle, enregistrée et consultable en ligne. L’exposition associée, Printing the Chronicles of Kyoto, investissait le Kyoto Shimbun Building. Dans cette ancienne imprimerie, le projet se donnait à voir en plusieurs dimensions : de grands portraits déployés en volume dans l’espace, tandis que les voix des participants résonnaient, tissant un paysage sonore polyphonique. Qu’ils soient célèbres ou anonymes, chacun avait ici droit à son récit — une reconnaissance simple mais puissante, qui rappelle, à rebours du rythme du quotidien, que chaque vie mérite d’être entendue.

L'installation de JR, “Printing the Chronicles of Kyoto”, a été pensée en dialogue avec son lieu d’accueil, l’ancien bâtiment du Kyoto Shimbun.

Installée dans l’ancienne imprimerie du Kyoto Shimbun, l’exposition tire pleinement parti de l’architecture industrielle du site.