Regard croisé d’une société dans “Lines of Flight”
Tracer pour mieux lire entre lignes. Akihito Takuma fait de sa peinture une cartographie des dichotomies, un témoignage des contradictions.
Akihito Takuma, “Lines of Flight to the Sahara”, 2010, © Akihito Takuma
La peinture met plus de temps à sécher au Japon qu’en Europe dû au taux d’humidité dans l’air. C’est à partir de ce postulat que toute la réflexion d’Akihito Takuma s’enclenche. Pour souligner cette distinction, il achève son tableau en traçant de haut en bas des lignes droites à l’aide d’un pinceau de deux mètres, qu’il a conçu lui-même. Dans cette série nommée Lines of Flight qu’il poursuit depuis 2004, de grandes verticales sillonnent l’œuvre, des axes, des interstices, des croisements pour offrir une nouvelle lecture de la société.
Né en 1966 à Hitoyoshi au Japon, Akihito Takuma étudie à l’université des beaux-arts de Shiga pour devenir peintre et poursuit son apprentissage en Europe au Circulo de Bellas Artes de Madrid. C’est durant ses années à l’étranger qu’il découvre de façon palpable les différences environnementales entre les deux espaces. De cette diversité, il décide d’ouvrir le spectre des distinctions, des digressions, et de les filer.
Nuances de gris
Jaillissant d’une brume grisonnante, les villes se perdent dans les hauteurs des gratte-ciel, le mont Fuji se froisse, le Sahara s’efface. Les cerisiers japonais, symbole d’ordre aux yeux de l’artiste, gagnent en profondeur. Face à un horizon infini, Akihito Takuma perturbe les perspectives, et découvre sous des tâches abstraites l’apparition de traces blanches. Ses toiles sont une surface d’expérimentation, mais contrairement au désordre apparent il s’agit pour Akihito Takuma d’un retour à l’équilibre, une échappée du système.
Est et Ouest, occidental et oriental, nature et ville, humide et aride, noir et blanc, verticale et horizontale, abstrait et concret, surface et profondeur, sujet et objet… L’artiste dépeint ce qu’il nomme des « forces opposées » pour les questionner, les libérer de leurs contradictions. « C’est un étalage des témoignages que je continue à interroger », nous confie-t-il. Le but n’est pas tant de confronter ces caractéristiques que de les souligner pour pouvoir lire entre lignes, de tracer pour mieux nuancer. « Au Japon, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, il y a des choses qui se déroulent avec un certain flou, qui rend les choses floues. Je veux exprimer la vague beauté du mélange de diverses choses ».
Au-delà de la ligne, le mouvement
Lines of Flight est une référence directe au philosophe Gilles Deleuze et à son concept de “ligne de fuite”. « La ligne de fuite est une déterritorialisation », écrit-il. « Fuir, ce n’est pas du tout renoncer aux actions, rien de plus actif qu’une fuite. […] Fuir, c’est tracer une ligne, des lignes, toute une cartographie ». Pour Akihito Takuma, cette ligne de fuite pourrait être décrite comme « la trajectoire du mouvement créé en s’écartant des structures et des idéaux réglementés ».
Une trajectoire dont il n’est pourtant pas maître, car même sur de petits formats, il ne peut contrôler tous les recoins de sa toile et de son pinceau. C’est un sursis de hasard qui participe à la pondération de l’œuvre, une tension momentanée, une imperfection qu’il faut savoir chérir. Là encore, les dichotomies resurgissent, si Akihito Takuma considère qu’il échoue, il recommence alors tout le processus depuis le début.
Lines of Flight (2004 – en cours) une série de Akihito Takuma, à retrouver sur son site internet.
Akihito Takuma, “Lines of Flight - Unexpected power” © Akihito Takuma
Akihito Takuma, “Lines of Flight - Skyscraper” © Akihito Takuma
Akihito Takuma, “Lines of Flight - Skyscraper” © Akihito Takuma
Akihito Takuma, “Lines of Flight” © Akihito Takuma
Akihito Takuma, “Lines of Flight - Skyscraper” © Akihito Takuma
Akihito Takuma, “Lines of Flight” © Akihito Takuma
Akihito Takuma, “Lines of Flight - Unexpected power” © Akihito Takuma
Akihito Takuma, “Lines of Flight to the Sahara”, 2010
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