Un témoignage de l’irrationalité de l’humanité

C’est la vision d’un monde où organique et inorganique ont fusionné qui amène l'artiste Tetsumi Kudo à penser une “nouvelle écologie”.

17.08.2021

TexteHenri Robert

“Votre Portrait (Your Portrait)” - 1970-1979 — © Courtesy Hiroko Kudo, the Estate of Tetsumi Kudo and Hauser & Wirth © 2021 Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris

Quel meilleur adjectif qu’avant-gardiste pour définir le travail de Tetsumi Kudo ? À partir du milieu du XXème siècle, son œuvre, qui va du happening à l’installation, interroge les grandes questions auxquelles l’humanité est, et sera confrontée. Il sonde l’écologie, le développement technologique et les problématiques auxquelles l’homme doit faire face, d’un point de vue éthique et moral, à travers une forme de représentation singulière.

Tetsumi Kudo naît à Osaka, en 1935, dans une famille de peintres. Après des études à l’École nationale des Beaux-Arts de Tokyo, il réalise ses premiers happenings, navigue entre performances et installations, et s’associe au mouvement néo-dadaïste, puis aux Nouveaux Réalistes lorsqu’il s’installe à Paris en 1962. Il gagne en visibilité en Europe lorsque son travail est intégré, en 1986, à l’exposition Japon des avant-gardes 1910-1970 au Centre Pompidou.

 

Une liberté en question

Marqué par les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, l’artiste propose un travail en forme de rébellion face à la pensée dominante, conventionnelle. Au Japon, il réalise ses premiers happenings qu’il qualifie « d’anti-art » et qui, à partir d’objets récupérés, convoquent la question de la physique nucléaire et de la réaction en chaîne. Mais ce qui marque son œuvre, ce sont ses « cages. »

Les structures créées par Tetsumi Kudo illustrent la fusion de l’organique et de l’inorganique. Cette mise en lumière d’un post-humanisme, qui prend également la forme de petits terrariums et de serres, agrège des fragments de corps humains — parmi lesquels des globes oculaires ou des pénis – à des marqueurs de la place de la technologie dans nos vies, de la société d’hyper-consommation, tels des circuits électroniques ou des objets en plastique. Interrogeant la métamorphose organique de l’homme et sa survie biochimique, l’artiste présente ici de manière métaphorique une humanité enfermée dans une course au développement technologique, dans laquelle les valeurs éthiques ont été converties en biens matériels, échangeables. L’homme et la technologie ne sont ni partenaires ni adversaires, ils ne font qu’un.

L’artiste, disparu en 1990 à Tokyo, interroge la liberté de l’humanité et ce, avec une pointe d’humour. Comme l’exprime l’artiste Takesada Matsutani dans un essai publié sur le site de la galerie Hauser & Wirth — qui représente les ayant-droits de Tetsumi Kudo —, « l’art provocateur de Kudo (est-ce de l’humour noir ?) nous confronte à l’irrationalité du monde humain. Son art est un témoignage. Il s’est intéressé au violent conflit opposant l’humanité et le monde extérieur, que les humains doivent quotidiennement affronter, à ses paradoxes, de désir et de dégoût, d’affirmation et de déni. » De par sa connaissance des cultures japonaise et occidentale, l’artiste les confronte, en pointant spécifiquement les contradictions et maux propres à la société européenne.

Dans son travail, Tetsumi Kudo questionne la nouvelle place de l’objet, et une forme de résilience face à l’impact de l’homme sur son environnement. Comme il le déclarait dans une interview en 1971, reprise sur le site d’Hauser & Wirth, « l’art doit être l’une des manières de susciter le doute, la défiance : c’est une manière d’échanger de manière provocante entre vous et moi, qui vivons dans la fosse septique qu’est la technologie. En ce sens, l’art est la base à partir de laquelle nous réfléchissons et remettons tout en question. Doutons de tout. Quelle est notre place dans l’univers ? Qu’est-ce que la liberté humaine dans l’univers ? Qu’est-ce que la liberté individuelle dans la société ? »

 

Le travail de Tetsumi Kudo est à retrouver sur le site internet de la galerie Hauser & Wirth.

“Meditation between memory and future” (1978) — © Courtesy Hiroko Kudo, the Estate of Tetsumi Kudo and Hauser & Wirth © 2021 Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris

“Title Unkwown” (1978) — © Courtesy Hiroko Kudo, the Estate of Tetsumi Kudo and Hauser & Wirth © 2021 Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris

“Bonheur (Happiness)” 1974 — © Courtesy Hiroko Kudo, the Estate of Tetsumi Kudo and Hauser & Wirth © 2021 Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris