Yoichi Ochiai, l’artiste à l’origine du pavillon de “media art” de l’Exposition universelle d’Osaka 2025
Lauréat des Pen Creator Awards 2025, il revient en interview sur son œuvre immersive qui traduit en art l’expérience de la « Digital Nature ».

Yoichi Ochiai est né en 1987 à Tokyo. Docteur en sciences de l’information interdisciplinaires (université de Tokyo). Directeur du Digital Nature Development Research Center de l’université de Tsukuba. Spécialiste de l’interaction homme-machine, de la réalité virtuelle et des développements interdisciplinaires dans le champ de l’intelligence artificielle. Lauréat de nombreux prix.
Depuis 2017, les Pen Creator Awards rendent hommage aux créateurs de tous horizons et saluent leurs accomplissements. Pour la neuvième édition, en 2025, cinq lauréats ont été distingués. Parmi eux figure l’artiste de “media art” Yoichi Ochiai, qui a suscité un large écho avec son pavillon signature à l’Exposition universelle d’Osaka 2025.
En tant que producteur des projets thématiques de l’Exposition universelle d’Osaka 2025, Yoichi Ochiai a mené à bien le pavillon signature null², qui a rencontré un succès retentissant. Malgré un budget contraint et l’ampleur du chantier qu’implique un événement de cette envergure, il a tenu à achever ce pavillon en ayant recours à des procédés artistiques manuels. Pendant toute la durée de l’exposition, il s’est rendu régulièrement sur place et a mis en place un « mode walkthrough » afin que les visiteurs non sélectionnés par le tirage au sort puissent malgré tout en expérimenter une partie. Lors d’un incident affectant le trafic du métro, qui a immobilisé les visiteurs, il a même relancé null² à distance pour les encourager. Une attention au terrain qui a elle aussi marqué les esprits. En 2025, alors que l’IA s’est diffusée massivement dans la vie quotidienne, Yoichi Ochiai réalise un accomplissement majeur : proposer à travers ce pavillon une vision du monde à l’ère post-IA.
Son activité repose d’ailleurs sur deux piliers, l’art et la recherche. Depuis le début des années 2010, il présente de nombreuses œuvres en tant qu’artiste de media art, tout en dirigeant depuis 2015 le Digital Nature Laboratory à l’université de Tsukuba, où il mène ses propres recherches et forme de jeunes chercheurs.
Défenseur d’une vision de la « Digital Nature », ou « nature computationnelle »
Partant de l’idée d’une fusion entre la nature originelle et la nature interne des ordinateurs, il conçoit une « nouvelle nature » née d’un environnement saturé de technologies computationnelles. À travers ses œuvres et ses recherches en ingénierie (acoustique, holographie optique, fabrication numérique, interaction), il n’a cessé de donner forme à cette vision. Ces dernières années, il définit le Mingei (artisanat populaire) de la nature computationnelle comme une forme de media art, et interroge la manière dont les arts vernaculaires japonais ou les visions bouddhiques du monde peuvent se déployer dans ce nouvel environnement. Son langage artistique s’est élargi, trouvant une singularité marquée lorsqu’il a commencé à s’intéresser aux croisements entre la nature computationnelle et des pratiques culturelles telles que la cérémonie du thé ou le Mingei. Il a également collaboré avec les univers de la musique et du football.
Dans ce qui constitue une forme d’aboutissement, null², présenté à l’Exposition universelle d’Osaka 2025, invite les visiteurs à pénétrer dans un pavillon intégralement tapissé de miroirs, où ils font l’expérience d’un monde de nature computationnelle à travers le dialogue avec un double d’eux-mêmes généré par l’IA. Hommes et femmes de tous âges s’y sont immergés, oubliant le temps.
null² est actuellement en cours de relocalisation en vue d’une nouvelle forme d’existence. Trois semaines après le lancement du financement participatif, la somme de 2 milliards de yens avait déjà été atteinte. L’enthousiasme suscité par ce que l’on appelle déjà le « null-loss » ne semble pas près de retomber.
La mémoire d’une exposition universelle devient un héritage lorsqu’elle se transmet
La veille de la clôture de l’Exposition universelle d’Osaka 2025, Yoichi Ochiai se tenait dans le pavillon aux parois miroitantes, les longs cheveux qu’il avait laissés pousser depuis sa nomination comme producteur désormais attachés.
En repensant à l’Exposition universelle d’Osaka 2025, que ressentez-vous aujourd’hui ?
Yoichi Ochiai — Durant ces six mois, j’ai assisté à des scènes que je n’avais jamais vues auparavant. Chaque jour, près de 100 000 personnes se succédaient simplement pour jeter un coup d’œil au pavillon. Lors d’un DJ set organisé dans un pavillon étranger, j’ai vu une dame âgée se mettre à danser avec entrain, tandis qu’à côté d’elle un fonctionnaire sautillait. C’était une vraie fête.
Vous avez aussi mis en place un “mode walkthrough” permettant d’observer l’intérieur du pavillon.
Y.O. — Quand on voit de si près autant de personnes qui ne peuvent pas entrer, il est naturel de chercher une solution. Je pense que la mémoire d’une exposition universelle devient un héritage à partir du moment où ceux qui l’ont vécue la transmettent aux générations suivantes.
null² est une œuvre immersive qui traduit en art l’expérience de la « Digital Nature » sur laquelle Yoichi Ochiai travaille depuis des années. Elle propose une vision du monde où les frontières binaires entre nature et artifice disparaissent, à la suite de l’interpénétration et de la fusion du monde physique — la nature originelle — et de l’environnement informationnel des ordinateurs.
De nombreux visiteurs ont ainsi fait l’expérience de la « Digital Nature ».
Y. O. — La « Digital Nature » peut être comprise intellectuellement, à travers des concepts ou des graphiques. Mais lorsque l’on se trouve dans un espace comme null², où une « sculpture plus grande que l’être humain » se met à parler et à se comporter comme un être vivant, on peut sans doute l’appréhender de manière bien plus incarnée.
Pour l’enveloppe sculpturale extérieure, une membrane miroir d’un nouveau matériau, doté d’un taux de réflexion de 98 %, a été utilisée. Les basses émises par les haut-parleurs, conjuguées aux mouvements des bras robotiques et des actionneurs, font onduler la surface de manière fluide et visqueuse — nuru-nuru en japonais, onomatopée qui a donné son nom à null² —, lui conférant l’allure d’un organisme vivant et attirant le regard des passants.
À l’intérieur, le reflet du Sutra du Cœur était particulièrement marquant.
Y. O. — Installer au centre du site de l’Exposition universelle d’Osaka 2025 une idée orientale qui va du vide (null) au vide (null) me semblait hautement symbolique. Si, lors de l’Exposition universelle de 1970, la Tour du Soleil de Taro Okamoto relevait d’une pensée d’inspiration jōmon, null² est un miroir : kofun, agricole, Yayoi. Dans les deux cas, il s’agit d’arts totaux nés d’un travail collectif. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une époque où l’artiste est celui qui rassemble et dirige une équipe. J’ai conçu et dirigé ce pavillon comme une sculpture optique monumentale, mais aussi comme un espace numérique capable de transformer l’état mental des participants. Il a pris forme grâce aux collaborations avec Asratec pour la robotique, NOIZ pour l’architecture, WOW pour la vidéo, Nomura Kogeisha pour l’aménagement intérieur, entre autres. Au final, j’y ai concentré mes propres motifs dans une approche artisanale et sculpturale.
Gravé dans la mémoire de nombreux visiteurs, null² demeure. Il ne reste plus qu’à attendre, avec curiosité, la prochaine magie que Yoichi Ochiai choisira d’opérer.
Plus d’information sur le travail de Yoichi Ochiai sur son site internet.

Yoichi Ochiai.

“null²”, le pavillon qui a suscité un véritable engouement à l’Exposition universelle d’Osaka 2025. Pendant les sept mois de l’exposition, des performances live ont également été organisées à l’extérieur, renforçant le sentiment de communion avec les visiteurs.

Exposition anniversaire des 10 ans du Digital Nature Group. À l’occasion du dixième anniversaire du Digital Nature Laboratory de l’université de Tsukuba, une exposition s’est tenue à la galerie AXIS, à Tokyo. Photo : Ippei Suzuki (BONSAI STUDIO)

Exposition rétrospective personnelle de Yoichi Ochiai, “Le tétralemme du null : une histoire de l’humain induite par les signes”. Installation présentée depuis 2021 au musée d’art populaire Kusakabe, à Hida. Une exposition exploitant l’espace de manière dynamique. Avec le concours de : Karimoku Furniture Co., Ltd. Fourniture de matériel / assistance technique : Seibido Co., Ltd. Photo : Yoichi Ochiai

Publication de son premier recueil d’œuvres, Vagues et paysages. Une trajectoire consacrée à l’exploration d’une nouvelle conception de la nature, née dans les interstices de la technologie. 7 480 ¥ (KADOKAWA)
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