Chie Hayakawa, « Je veux continuer à faire uniquement les films que j’ai envie de voir »
Révélée à l’international avec “Plan 75”, la réalisatrice poursuit avec “Renoir” un cinéma fidèle à ses aspirations personnelles.

Chie Hayakawa est née à Tokyo en 1976. Après des études de photographie à la School of Visual Arts de New York, elle se forme de manière autodidacte à la réalisation. Elle écrit et réalise “Plan 75”, initialement conçu comme un segment du film à sketchs “Ten Years Japan”, supervisé par Hirokazu Kore-eda. Le film devient par la suite son premier long-métrage, présenté au Festival de Cannes 2022, où il reçoit une mention spéciale dans la section Un Certain Regard. © Sakiko Nomura
« Pendant des années, des images de films que j’avais envie de tourner s’accumulaient en moi », confie Chie Hayakawa. « Avec ce projet, j’ai enfin pu les faire sortir. »
Récompensée en 2022 au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard pour Plan 75, Chie Hayakawa s’est imposée sur la scène internationale dès son premier long-métrage. Pourtant, cette reconnaissance est arrivée tardivement. Celle qui rêvait de cinéma depuis l’enfance a dû attendre la quarantaine pour signer son œuvre de fiction inaugurale. Aujourd’hui, avec Renoir, elle poursuit un chemin à contre-courant, fidèle à ses élans intimes.
« J’ai commencé à vouloir faire du cinéma vers l’âge de 11 ans. Depuis toute petite, je rêvais de devenir romancière, mais c’est en découvrant La Rivière de boue de Kohei Oguri, en CM1, que je suis tombée dans le cinéma. Le protagoniste était un enfant, et le film exprimait des émotions que j’avais vécues mais que je n’arrivais pas encore à formuler avec des mots. C’était étrange de ressentir autant de sympathie pour ce personnage. Je me suis dit : “J’aimerais voir plus de films comme celui-là.” Et j’ai commencé à en regarder plein. »

© Sakiko Nomura
Son envie de cinéma ne s’est jamais éteinte. À la moitié de la trentaine, Chie Hayakawa prend une décision radicale : entrer en école de cinéma. Son film de fin d’études, Niagara, est récompensé à plusieurs reprises et lui ouvre les portes de la réalisation.
Si Plan 75 était un film à la portée ouvertement politique, Renoir, lui, prend le contrepied. Le projet est né de fragments de scènes que Chie Hayakawa avait accumulés au fil des années, en se disant qu’elle aimerait un jour les porter à l’écran.
« J’ai rédigé la première version du scénario pendant la préparation de Plan 75. À cause du Covid, le projet a été suspendu, et je me suis retrouvée avec une période de vide devant moi. J’ai alors découvert un atelier de scénario et je m’y suis inscrite. Cela faisait longtemps que je voulais faire un film avec un enfant pour personnage principal. Ensuite, j’ai simplement écrit toutes les scènes que j’avais envie de tourner, et je les ai assemblées comme des épisodes. Plan 75 reposait sur un concept très clair, c’était un film dans lequel je pouvais expliquer la raison d’être de chaque scène. Mais cette fois, je voulais faire exactement l’inverse. J’ai commencé à l’aveugle, sans savoir ce que je voulais exprimer, et c’est en fabriquant le film que ses contours ont commencé à se dessiner. »
L’histoire suit Fuki, une fillette de 11 ans incarnée par Yui Suzuki. Son père (Lily Franky), atteint d’un cancer en phase terminale, multiplie les allers-retours entre l’hôpital et la maison. Sa mère (Hikari Ishida), débordée par le travail et les tâches ménagères, peine à tenir le cap. Alors que la cellule familiale se délite silencieusement, Fuki s’accroche à l’invisible pour rester connectée au monde, et découvre peu à peu la solitude, le manque, et les failles des adultes.
« C’est une fiction, mais mon père aussi avait un cancer, et j’étais comme Fuki : toujours en train de me perdre dans mes pensées », se souvient la réalisatrice. « J’aimais imaginer le moment de ma propre mort, faire des sortes d’incantations. J’ai voulu me replonger dans mon enfance, et essayer d’exprimer comment je voyais le monde, comment je le ressentais. »
C’est précisément ce regard d’enfant qui met en lumière les imperfections du monde adulte. Personne n’est irréprochable, chacun fait comme il peut — et c’est dans cette lutte silencieuse pour tenir bon que les personnages deviennent profondément touchants.
« Il y a pas mal d’adultes un peu à côté de la plaque dans le film, mais si je l’avais tourné dans ma vingtaine, je pense que je les aurais dépeints de façon plus crue. Avec les années, mon regard sur les autres s’est un peu adouci. Même quand ils sont bizarres, colériques, j’ai envie de les montrer avec une certaine tendresse. J’avais envie qu’on les trouve “attachants”, malgré leurs travers. Même les adultes cabossés ont été des enfants un jour, et j’avais envie de les représenter de manière à ce qu’on ait envie d’imaginer ça. »
Montrer ces instants où surgissent le réconfort et la consolation

© Sakiko Nomura
Dans un contexte post-pandémie où les récits sombres se sont multipliés, Chie Hayakawa déclarait déjà lors de la sortie de Plan 75 : « Je veux réaliser des films où l’on aperçoit au moins un peu de lumière. » Un désir qu’on sent à fleur de pellicule dans Renoir, parsemé de scènes oniriques et suspendues, comme autant d’éclats d’espoir. Ce nouveau projet semble avoir renforcé sa conviction de faire un cinéma sincère.
« On pourrait penser que c’est un film sombre, mais il y a en réalité pas mal de passages pleins d’humour. Dans la vie, même quand on s’enfonce dans une grotte noire, il arrive qu’on y découvre des choses d’une beauté insoupçonnée. Pour Fuki, ce sont les peintures occidentales qui ont joué ce rôle. Si le film peut transmettre ce genre d’émotion, ce genre de réconfort — si en le regardant, le paysage que les gens ont sous les yeux change un peu — j’en serais très heureuse. Et je veux continuer à faire uniquement les films que j’ai envie de voir. Si je commence à douter, même un peu, pendant le processus de création, ça devient difficile à vivre pour moi. Et je ne peux plus être honnête avec les gens qui travaillent avec moi. Je me suis vraiment dit qu’il fallait que je reste fidèle à moi-même, sans me laisser distraire par ce qu’il y a autour. »
“Renoir”

© “Renoir”, 2025, Commission de production déléguée / International Partners
Dans une banlieue japonaise des années 1980, le quotidien d’une fillette de 11 ans, coincée entre les mondes de l’enfance et des adultes. Un portrait sensible d’adultes imparfaits, prisonniers des normes sociales et d’une ’image idéalisée de la famille.Sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 2025. Actuellement en salle au Japon.
“Plan 75”

© “Plan 75”, 2022, Commission de production déléguée / Urban Factory / Fusee
Dans un futur proche, le vieillissement de la population est devenu critique au Japon et une loi permet aux citoyens de 75 ans et plus de choisir eux-mêmes leur fin de vie. Michi Kakutani (Chieko Baishō), 78 ans, vit seule depuis la mort de son mari et commence à envisager de souscrire au programme. Sorti en 2022.
“Niagara”

© Chie Hayakawa
Réalisé en 2014, ce premier court-métrage signe les débuts de Chie Hayakawa. À l’approche de ses 18 ans, Yamame s’apprête à quitter l’institution dans laquelle elle a grandi, quand elle découvre l’existence de ses grands-parents et un secret bouleversant. Niagara remporte le Grand Prix du PFF Award 2014 et est sélectionné la même année au Festival de Cannes, dans la section Cinéfondation.
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