« Faire des recommandations, c’est engager sa crédibilité »
Dans “Guide de survie en société d'un anti-conformiste”, l'auteur Satoshi Ogawa partage ses stratégies pour affronter le quotidien.

© Tomoyuki Yanagi
Dans chaque numéro de Pen, l’écrivain Satoshi Ogawa, lauréat du prix Naoki, publie un essai inédit de sa série “Guide de survie en société d’un anticonformiste”. Il y partage avec finesse les stratégies originales qu’il met en place pour affronter les petits tracas du quotidien. Voici le neuvième épisode, “Mon système de recommandation à points”.
Éditeurs et journalistes me posent souvent cette question : « Vous avez lu quelque chose récemment que vous recommanderiez ? » Je me demande alors si l’on attend de moi un pouvoir d’influence particulier. Puis je me reprends : non, les recommandations sont simplement à la mode. Et finalement, je me rends compte que l’humanité a toujours recommandé des choses. Même le seigneur de guerre Sōrin Ōtomo a conseillé à sa famille et ses vassaux de se convertir au christianisme.
Je considère la recommandation comme comparable à un cadeau que l’on apporte lorsque l’on est invité chez quelqu’un. Si l’on connaît bien la personne, on choisira quelque chose qui lui fera plaisir : « Monsieur X n’aime pas le sucré, prenons des biscuits », « Madame Y apprécie le vin, achetons une bouteille ». Si l’on ne dispose d’aucune information, on se rabattra sur des produits connus ou réputés.
Lorsqu’il s’agit d’amis proches, il est possible de recommander avec précision. On prend en compte leurs goûts, leurs précédentes réticences, et l’on choisit dans sa propre bibliothèque ou ses découvertes ce qui leur conviendra le mieux. Quand on connaît peu la personne, on se fie aux avis généraux. Et si aucune suggestion ne semble adéquate, on se permet un petit avertissement : « C’est une préférence personnelle, mais… », avant de proposer un titre que l’on apprécie.
Pour ma part, je réfléchis souvent trop avant de recommander un livre. La crainte que ma suggestion soit jugée « ennuyeuse » me paralyse. Pourquoi ce degré de prudence ? Parce que j’ai mis en place ce que j’appelle un système de recommandation à points.
Ce système consiste à attribuer à chaque ami, connaissance, membre de la famille, ou même personnalité suivie sur les réseaux sociaux, animateur de radio, critique ou écrivain, un certain nombre de points de confiance. Quand un livre accumule 100 points grâce à ces recommandations, je décide de le lire.
Par exemple, un critique recommande un ouvrage, ma mère le trouve intéressant et un ami l’apprécie aussi. Je donne 60 points au critique, 0 à ma mère, et 30 à mon ami. Le total atteint 90. Dès qu’une autre personne à laquelle j’attribue au moins 10 points le recommande, je me rends pour acheter ce livre.
Le nombre de points attribués reflète la confiance que j’ai dans la personne. Si je pense que ce qu’elle recommande n’est pas compatible avec mes goûts, je peux attribuer des points négatifs. Et si un livre conseillé par quelqu’un de confiance me déçoit, j’ajuste sa valeur à la baisse. Grâce à ce système, je peux lire efficacement dans le temps limité dont je dispose, en minimisant les déceptions.
Attribuer des points aux autres implique également la crainte de voir ses propres recommandations dévaluées. Si je suggère un mauvais livre, mes interlocuteurs pourraient perdre confiance et ne plus suivre mes conseils, même pour un ouvrage que je souhaite sincèrement partager. J’essaie d’éviter cela à tout prix.
Il existe toutefois une personne à laquelle j’ai attribué 100 points. Elle ne sait pas que ce chiffre existe et, en vérité, ne me connaît même pas. Pourtant, tout ce qu’elle recommande, je le lis systématiquement. Peut-être avez-vous, vous aussi, quelqu’un à 100 points dans votre vie ?
À propos de l’auteur
Satoshi Ogawa est né en 1986 dans la préfecture de Chiba. Il fait ses débuts littéraires en 2015 avec De ce côté d’Eutronica (Yūtoronika no Kochiragawa, Hayakawa Books). En 2018, son roman Le Royaume des Jeux (Gēmu no Ōkoku, Hayakawa Books) remporte le 38ᵉ Grand prix Nihon SF ainsi que le 31ᵉ prix Yamamoto Shūgōrō. En janvier 2023, il reçoit le 168ᵉ prix Naoki—l’un des prix littéraires les plus prestigieux du Japon, récompensant des romans populaires d’exception—pour La Carte et le Poing (Chizu to Ken, Shūeisha, référence au roman de Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire). Son œuvre la plus récente, Your Quiz (Kimi no Kuizu), est parue chez Asahi Shimbun Publishing.

© Seiichi Saito
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