La fascination de David Bowie pour le Japon

Le musicien s'est inspiré du théâtre kabuki et de la musique traditionnelle japonaise pour affirmer une identité sonore originale.

23.07.2022

TexteSébastien Raineri

Costume de scène “KABUKI” de Kansai Yamamoto pour David Bowie, 1973. Photographie de Masayoshi Sukita.

Au début des années 1970, la culture japonaise s’offre une nouvelle visibilité en Grande-Bretagne avec des expositions consacrées aux estampes (The Floating World, 1973) et à Onisaburo (The Art of Onisaburo, 1974) au Victoria & Albert Museum. David Bowie s’en imprègne et s’immerge totalement dans l’esthétique japonaise. Il incorpore des éléments de théâtre kabuki dans ses prestations scéniques et s’inspire de la musique traditionnelle japonaise pour affirmer une identité sonore toujours plus originale.

 

Inspirations et collaborations japonaises

David Bowie cherche à développer à cette même période son amour pour le Japon qui représente pour lui une parfaite métaphore de la notion d’étranger : « Je crois que c’est le seul endroit, à part l’Angleterre, où je pourrais vivre », déclare-t-il au magazine Melody Maker. Il est passionné par les films d’Akira Kurosawa et de Nagisa Oshima et, en lecteur assidu, est également un grand admirateur de Yukio Mishima. Figure polarisante, qui contraste fortement avec les valeurs traditionnelles japonaises, Yukio Mishima est un bel homme aux multiples facettes qui incarne une personnalité rebelle refusant de se conformer aux normes culturelles, ce qui plaît à David Bowie. En 2013, il fait référence à l’écrivain dans la chanson “Heat” de l’album The Next Day dans laquelle il évoque l’image sinistre d’un chien mort que l’on retrouve dans le roman Neige de printemps. Par ailleurs, des thèmes spécifiques de l’œuvre de Yukio Mishima se retrouvent dans le film Furyo (1983) de Nagisa Oshima, dans lequel David Bowie interprète un prisonnier britannique durant la Seconde Guerre mondiale, en compagnie de Ryuichi Sakamoto et Takeshi Kitano.

Plusieurs artistes japonais ont compté dans la carrière du musicien, et ont participé à sa gloire internationale. En premier lieu Kansai Yamamoto, célèbre pour l’audace de ses créations avant-gardistes et extravagantes qui conviennent parfaitement à l’image de Ziggy Stardust, l’alter ego du chanteur. Cette fructueuse rencontre lui permet de connaître Masayoshi Sukita, un jeune photographe. Ce dernier se rend à Londres en 1972 pour faire des clichés de Marc Bolan du groupe T-Rex. Il découvre David Bowie en concert et se dit immédiatement qu’il veut le photographier. Le moment est idéal, car l’un s’intéresse à la culture occidentale, l’autre à la culture orientale. Cette influence mutuelle débouche sur des milliers de photographies au fil de plusieurs décennies, dont la plus célèbre, et la préférée de Masayoshi Sukita, n’est nulle autre que la couverture mythique de l’album Heroes (1977). En 2015, David Bowie décrit Masayoshi Sukita de la manière suivante : « C’est un artiste engagé, un artiste brillant, je dirais même un maître. »

 

Kyoto comme muse

Dans ses chansons, David Bowie utilise le Japon comme une source d’inspiration constante. On entend des sonorités orientales dès 1974 dans l’album Diamond Dogs, puis le Japon s’immisce dans le son et les paroles à partir de l’album Heroes, où le chanteur affirme dans “Blackout” son « influence japonaise » (I’m under Japanese influence). Il est fortement inspiré par la ville de Kyoto qu’il aime et qu’il connaît bien, et qui sert de référence à la chanson “Moss Garden” dans le même album. David Bowie s’inspire du temple des mousses pour composer la musique, et joue du koto (instrument à cordes pincées utilisé en musique japonaise traditionnelle) sur l’enregistrement.

Il évoque de nouveau Kyoto dans la chanson “Move On” sur l’album Lodger (1979), puis fait référence au Japon dans le morceau “Ashes to Ashes” de l’album Scary Monsters (And Super Creeps). Pour cet opus sorti en 1980, il enregistre un morceau instrumental initialement intitulé “Fujimoto San”, qui doit clôturer l’album. Ce titre sort en single au Japon en juillet 1980, sous le nom de “Crystal Japan”, et sert de bande-son pour une publicité télévisée japonaise tournée à Kyoto pour la boisson alcoolisée Shochu Crystal Jun Rock.

L’amour de David Bowie pour le Japon se ressent non seulement dans sa musique, mais aussi dans son image et dans sa popularité, et reflète une fascination réciproque entre deux cultures si opposées l’une à l’autre qu’elles se rejoignent nécessairement.

 

Heroes (1977), un album de David Bowie édité par RCA Victor.

David Bowie et Kansai Yamamoto, 1973. Photographie de Masayoshi Sukita.