Quand la technique du plissé amène Issey Miyake à créer pour la danse

29.04.2020

TexteManon Baeza

La haute-couture doit-elle répondre à des critères artistiques ou de praticité ? La question perdure au fil des décennies, sans véritablement trouver de bonne ou de mauvaise réponse. Seulement, si certains designers tendent à rendre leurs créations plus conceptuelles, d’autres privilégient le classicisme et la matière. Issey Miyake, lui, vient prouver que les vêtements peuvent être fonctionnels et élégants, tout en restant abstraits et intellectuels. Un fait qui ne cesse de s’affirmer au gré de son imagination.

Et ce, plus particulièrement à travers ses silhouettes où le plissé est au coeur de son processus créatif, devenant ainsi l’élément phare de ses collections. Car, si le styliste japonais a eu des prédécesseurs illustres faisant du plissé leur matière vedette – à l’instar de Mariano Fortuny, Coco Chanel, Madeleine Vionnet ou encore Madame Grès – Miyake est incontestablement le designer contemporain le plus réputé pour sa technique de plissage.

Costume d’Issey Miyake pour « Loss of small detail», chorégraphie de William Forsythe. Ballet de Frankfort, 1991. Prêt Forsythe Productions. © CNCS / Florent Giffard » »

Le plissé est une technique qui requiert un savoir-faire spécifique, mais qui reste cependant couramment utilisée dans la haute-couture. Une technique qu’Issey Miyake s’approprie dès les années 80 en proposant sa vision personnelle et moderne à travers une collection qu’il nomme “le plissé mutant”, un clin d’oeil à l’aspect novateur et révolutionnaire de ses silhouettes. Et pour cause, ce nouveau plissé dit “mutant” devient de plus en plus léger, pratique et simple d’utilisation : il est désormais possible de le laver en machine et de le porter une fois séché, sans le repasser. Cette collection reflète également les premières expérimentations de sa gamme commerciale, alors lancée depuis peu. En résultent plusieurs dizaines de silhouettes colorées et fluides, qui lui permettent de s’imposer très vite comme l’une des références phare du plissé.

Onze ans après sa première collection réalisée autour de cette technique, le créateur japonais rencontre le chorégraphe américain William Forsythe (installé à Francfort), qui le met au défi de faire du plissé pour la danse. Miyake réalise alors toute une collection pour le ballet “The Loss of Small Detail”, créé en 1991. Au même moment, le créateur lance sa ligne “Pleats Please”au succès foudroyant et planétaire. “Pleats please” mêle la technique complexe du plissage à une matière inédite : un polyester très léger (et souvent réservé aux doublures). Une collection qui lui permettra par la suite de repenser les costumes de danse, en les faisant plus légers, afin qu’ils retrouvent instantanément leur forme originelle après quelconque saut ou figure.

Costume d’Issey Miyake pour « Loss of small detail», chorégraphie de William Forsythe. Ballet de Frankfort, 1991. Prêt Forsythe Productions. © CNCS / Florent Giffard » »

Dans un autre ballet dénommé “As a Garden in this Setting” – toujours mené par William Forsythe – les silhouettes du designer japonais prennent vie une nouvelle fois sur scène. Miyake conçoit alors “un costume qui va à tout le monde, qui ne se froisse jamais et qu’on peut laver autant de fois qu’on veut”, tel que le souligne Philippe Noisette (le commissaire de l’exposition “Couturiers de la danse ” au CNCS de Moulins) à Paris Match.

Issey Miyake a – depuis ses débuts – toujours annoncé que ses créations étaient pensées afin de “libérer le vestiaire masculin”. Il le prouve d’ailleurs pendant ses nombreux défilés-performances, où il est l’un des rares créateurs à demander à ses mannequins de courir, danser ou encore sourire, comme lors d’un défilé passé, à Paris. Très souvent, ses défilés sont d’ailleurs chorégraphiés et prouvent, par la même occasion, que les vêtements n’entravent aucunement les mouvements.

Créer des vêtements pour la danse est un tout autre exercice car “dans la danse, les créateurs de mode se retrouvent dans un univers de corps qui bougent, qui tombent au sol, qui se frottent, qui se portent. Il faut à la fois garder l’esprit couture et répondre à des exigences pratiques », explique une nouvelle fois Philippe Noisette, toujours à Paris Match. Si Miyake est réputé pour ses créations ingénieuses et lumineuses, sa relation avec l’art vivant reste néanmoins plus discrète. Pourtant, la danse occupe une grande place dans sa création comme le démontre l’exposition  “Couturiers de la danse ” au CNCS de Moulins, désormais accessible en ligne.

Costume d’Issey Miyake pour «Loss of small detail», chorégraphie de William Forsythe. Ballet de Frankfort, 1991. Prêt Forsythe Productions. © CNCS / Florent Giffard

Costume d’Issey Miyake pour «Loss of small detail», chorégraphie de William Forsythe. Ballet de Frankfort, 1991. Prêt Forsythe Productions. © CNCS / Florent Giffard