“Shibui”, l’élégante sobriété
La complexité de ce concept japonais réside dans son ambivalence : il oscille entre l’astringence et la beauté épurée.
© Jie
Le shibui est un concept japonais évolutif et qui recouvre, au fil du temps, plusieurs acceptions. Il peut s’utiliser pour qualifier aussi bien une personne qu’une performance artistique ou un objet. Avec, la majeure partie du temps, une visée positive : celle de la beauté sobre, discrète, empreinte d’un sens de la mesure.
Un objet ou une personne que l’on qualifie de shibui sont élégants, d’une apparente simplicité, mais qui révèle avec le temps de nouvelles facettes. Pourtant initialement, le terme shibui n’était pas corrélé à une idée méliorative. Il qualifiait un goût astringent, comme celui du kaki. Un goût laissant une impression peu agréable au palais, qui fait tordre les lèvres et plisser les yeux.
L’ultime beauté
L’auteure Ryoko Sekiguchi, dans son livre L’Astringent, tente de retrouver le point de bascule qui a fait passer le shibui dans la sphère positive. Selon elle, il faut remonter à la fin de l’époque Edo, où le shogunat Tokugawa engage des réformes économiques qui vont de pair avec des restrictions vestimentaires, prohibant les motifs trop bariolés et les couleurs comme le rouge ou le violet. Les Japonais contournent alors ces restrictions en se tournant vers des vêtements plus sobres, où l’accent est mis sur la sophistication du tissage, la qualité des doublures…
Quant à Soetsu Yanagi, fondateur du courant mingei, il se réfère au shibui pour caractériser un goût raffiné, une beauté arrivée à son stade ultime, le plus pur qu’il soit. On peut ainsi lire dans son ouvrage Artisan et inconnu — La beauté dans l’esthétique japonaise : « Le monde regorge de différents aspects de la beauté. Le beau, le puissant, le gai, l’intelligent, tous appartiennent au beau. Chaque personne, selon ses dispositions et son environnement, se sentira une affinité particulière avec tel ou tel aspect. Mais lorsque son goût s’affine, il arrive nécessairement à une beauté qui est shibui. Bien des termes servent à désigner le secret de la beauté, mais celui-ci est le dernier mot. »
L’astringent (2012), un livre de Ryoko Sekiguchi paru aux éditions Argol.
Artisan et inconnu — La beauté dans l’esthétique japonaise (1992), un ouvrage de Soetsu Yanagi édité par L’Asiathèque.
© mae mu
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