« C’est un plaisir sincère que mes objets soient reconnus comme appartenant au cercle du Mingei »

Les couverts de laiton soigneusement façonnés par Ruka Kikuchi dans son atelier de Setouchi sont appréciés dans tout le Japon et ailleurs.

27.11.2025

TexteHisashi Ikai PhotographiesMitsuyuki Nakajima

Ce que les objets du quotidien laissent entrevoir d’“humanité”

Ruka Kikuchi, artisan du laiton, est né en 1983 dans la préfecture d’Okayama. Il commence la fabrication d’accessoires auprès de son père en 2000 puis lance sa production de couverts en 2006. En 2010, il fonde son atelier, Lue. En mai 2025, il a présenté une exposition personnelle chez Kashika, à Tokyo.

Les cuillères façonnées par Ruka Kikuchi se reconnaissent à leurs manches longs et fins, prolongés par un cuilleron légèrement bombé. Leur silhouette organique, les courbes aux reflets changeants et les traces de martelage laissées par le marteau témoignent d’un geste patient et d’un travail mené entièrement à la main.

« Je ne crée pas en pensant spécialement au cadre ou à l’idéologie du Mingei. Mais je suis simplement heureux que l’on puisse reconnaître mes objets comme faisant partie de cette famille. » Ses pièces sont vendues dans des magasins de Mingei à travers le pays, mais aussi dans des boutiques de design contemporain au parti pris affirmé, ainsi que dans des enseignes de lifestyle très fréquentées : une présence qui traverse les genres et les esthétiques.

« J’aime l’idée fondatrice du Mingei : le travail universel d’artisans anonymes, cette beauté saine qui accompagne le quotidien. Mais dès que l’on commence à dire “le Mingei devrait être ainsi”, l’ensemble devient contraignant, presque étouffant. Le Mingei n’est pas quelque chose dont la valeur serait fixée par quelques spécialistes, c’est un champ confié largement au public. Sa compréhension change selon les époques, mais au fond, il ne s’agit pas de juger ce qui est bon ou mauvais. Il s’agit d’être sensible, avec douceur, à cette “humanité” qui affleure dans les objets. »

Ruka Kikuchi estime que les objets fabriqués à la machine possèdent, eux aussi, une forme de qualité. C’est dans cette perspective qu’il collabore avec une usine de Tsubame-Sanjo, développant une collection industrielle à partir de ses propres designs.

La série de couverts emblématique de l’atelier Lue. Lors de l’achat, le laiton poli présente une teinte dorée éclatante qui se patine avec l’usage. De droite à gauche : cuillère de service en une seule pièce, 5 940 ¥ ; fourchette à gâteau, 3 740 ¥ ; fourchette à fruits, 3 520 ¥ ; fourchette trèfle, 4 180 ¥ ; petite cuillère, 3 300 ¥ ; grande cuillère, 3 960 ¥ ; cuillère de service, 4 400 ¥ ; cuillère de service à café, 5 500 ¥ ; cuillère de service à thé, 4 180 ¥.

La largeur du manche est ajustée en fonction de la forme de la lame et de son usage. Les couteaux de Ruka Kikuchi, simplement posés sur une table, composent comme un tableau. De droite à gauche : couteau à fromage petit, 13 200 ¥ ; grand, 14 850 ¥ ; coupe-papier, chacun 5 720 ¥.

Ruka Kikuchi a grandi au contact du métal. Dès l’âge de 17 ans, il aide ses parents, qui fabriquaient et vendaient des accessoires faits main. Après son mariage et la naissance de son enfant, il décide de prendre son indépendance. Il n’a pourtant jamais étudié officiellement l’art ou le design, ni reçu de formation spécifique en artisanat. La maîtrise du métal s’est imposée naturellement, au contact de ses parents, tandis que sa passion pour la cuisine l’a amené à créer ses premiers couverts en laiton. Quinze ans plus tard, les formes essentielles qu’il produit restent quasiment inchangées.

« Les cuillères que je fabrique aujourd’hui dérivent directement de celles que mon père m’a montré juste avant que je me lance. “Si tu veux faire des couverts, essaie comme ça”, m’avait-il dit. Lorsque j’en ai créé une pour la première fois, le processus — braser l’extrémité et le manche, puis marteler successivement les côtés et le dessus pour façonner la pièce — m’a paru parfaitement cohérent. Je trouvais l’objet équilibré, d’une beauté simple. Et cette impression ne m’a jamais quitté. C’est sans doute pour cela que je continue à produire la même forme. »

Marteler le laiton jusqu’à atteindre « le point juste »

Ruka Kikuchi façonne chaque couvert en accumulant les étapes, à partir de plaques de laiton. À gauche : la découpe (“honkiri”) des pièces, réalisée aux cisailles en suivant précisément les lignes du tracé. À droite : le “kegaki”, tracé des contours et dimensions au poinçon sur une plaque de laiton aux mesures standard.

À gauche : le long manche, autre élément caractéristique, est obtenu en martelant les quatre faces (“tatakidashi”), ce qui affine la forme tout en renforçant la pièce. Trop de force laisse une marque, trop peu empêche de modeler correctement. Obtenir un équilibre aussi subtil sur des éléments fins, comme ceux de ses couverts, réclame une grande maîtrise. À droite : la plaque circulaire est chauffée au chalumeau pour être assouplie, une étape appelée “yakinamashi”, facilitant les ajustements précis. En la posant ensuite sur un moule et en la martelant progressivement, Ruka Kikuchi donne naissance à la cuillère : une courbe tridimensionnelle, douce et ouverte.

À gauche : l’espace de travail consacré au “yakinamashi”, le chauffage du métal au chalumeau. En été, la proximité du feu rend la tâche éprouvante. À droite : une louche en cours de fabrication. Son cuilleron, fixé à l’extrémité d’un manche en U, est peu profond et large, ce qui permet de racler aisément le fond des casseroles. L’outil est léger, simple à manier et peut être suspendu à un crochet pour le rangement.

Interrogé sur sa conception de la fonctionnalité, il nuance immédiatement : ce qu’il considère comme pratique ne correspond pas nécessairement au ressenti de tous.

« Les couverts sont destinés à la table, il est donc normal qu’ils fonctionnent comme des outils. Mais la fonctionnalité n’est pas ma priorité. Chacun a ses préférences en termes de forme ou de dimension, et il y a tout autant de manières d’envisager la fonctionnalité. Déclarer qu’une forme serait la plus pratique reviendrait à nier que d’autres sensibilités et opinions existent. Je ne serais pas à l’aise avec cela. »

Il explique avoir un temps cherché à uniformiser ses pièces, à les rendre impeccablement régulières pour garantir une qualité constante. Avec l’expérience, il réalise pourtant que nombre de personnes apprécient précisément ce qu’il juge lui-même comme étant de qualité, sans qu’une stricte homogénéité soit nécessaire.

« En découpant des formes dans des plaques de laiton standard et en les martelant, on finit par voir apparaître un point qui semble exactement juste. Même si chaque pièce n’est pas parfaitement identique, si quelqu’un les choisit pour ce qu’elles sont et si elles résonnent avec ma propre idée du “bien”, alors cela me semble être la bonne décision. »

L’atelier s’est étoffé, accueillant désormais plusieurs membres, et la production s’est stabilisée. À l’automne 2024, il ouvre un second espace sur les hauteurs du secteur de Hinase, un peu à l’écart de son atelier principal situé dans la campagne de Setouchi.

« Quand je me retrouve seul face à mon travail, j’ai parfois envie de m’y consacrer différemment, autrement que dans le seul cadre de la vie familiale et du quotidien à assurer. Il y a encore tant de choses que j’aimerais tenter avec le laiton, tant de pistes qui commencent à se préciser. En me plongeant davantage dans le travail, j’ai l’impression que de nouvelles formes pourront émerger. »

Une exposition personnelle s’est tenue au printemps 2025. L’occasion d’explorer une expression plus libre, plus ouverte.

Au second étage de l’atelier, un comptoir de cuisine en laiton occupe l’espace. Ce lieu sert à la fois de salle de réunion pour recevoir les visiteurs et de galerie-boutique, où sont présentées des pièces choisies.

L’atelier de Ruka Kikuchi se trouve dans un paysage rural, entouré de rizières. Depuis l’entrée, on aperçoit un petit sanctuaire isolé dans le bois voisin : le Hachimangū, mentionné dans le “Biyōkoku-shi”, un ouvrage historique de l’époque d’Edo.

Des vases, considérés comme la forme originelle de la céramique, issus de la collection personnelle de Ruka Kikuchi. Ces pièces proviennent d’horizons multiples, depuis des artistes contemporains américains jusqu’à des antiquités iraniennes, mais partagent une atmosphère étrangement proche.

Dans un coin du deuxième étage se trouve l’espace préféré de Ruka Kikuchi. Poteries d’Asie, artisanat scandinave et objets de différentes traditions du Mingei japonais y sont soigneusement réunis, auxquels s’ajoutent ses anciennes pièces et des accessoires réalisés par son père.