Diorama, une ancienne usine reconvertie en galerie
Cet espace singulier met en lumière des objets sans signature, soigneusement choisis pour leur force expressive.

Vue intérieure de Diorama, où cohabitent librement objets de toutes formes, matériaux, époques et usages, dans un espace dont la structure a été mise à nue. À droite, au-delà de la porte couverte de plaques de cuivre, une pièce dédiée aux antiquités allant de l’époque Edo à Shōwa.
Au cœur des paysages ruraux de Hokuto, dans la préfecture de Yamanashi, à l’est des Alpes du Sud et au sud des monts Yatsugatake, une ancienne usine a été réhabilitée en galerie. Diorama a été conçue par Daniel Kai Hirao, qui travaillait autrefois dans le design d’intérieur à Tokyo, en collaboration avec son père, le charpentier Morrison Neil Stewart.
Malgré sa situation isolée — à environ deux heures de route de la capitale — l’endroit attire chaque jour des visiteurs venus du Japon comme de l’étranger. Tous sont fascinés par le regard libre que pose Daniel Kai Hirao sur les objets, leur usage et leur valeur, et la manière dont il compose, sans contrainte d’époque ou de catégorie, un espace d’une grande cohérence esthétique.
« Les traces d’huile qui datent de l’ancienne usine de plastique ont été volontairement conservées — elles font désormais partie de la patine du lieu », explique-t-il. « Les rigoles creusées dans le sol pour le passage des canalisations dessinent de belles lignes, que j’ai soulignées en les remplissant de gravier pour ajouter de la texture. Quant aux grandes fenêtres d’origine, je les ai obturées avec des panneaux d’aluminium oxydé pour bloquer la lumière naturelle et mieux contrôler l’éclairage intérieur. »
Objets uniques à usage ouvert
Parmi les pièces exposées dans la galerie, toutes tailles et formes confondues, l’une des plus saisissantes est un creuset industriel de plus d’un mètre de diamètre et de profondeur, autrefois utilisé pour la fonte de l’aluminium. Réemployé tel quel, l’objet s’impose par sa présence à l’apparence profondément marquée par le temps.
« On m’a déjà demandé de concevoir une scénographie dans laquelle ce creuset serait utilisé comme immense pot de fleurs. Le projet ne s’est pas concrétisé, mais je trouve que placé à l’entrée d’un hôtel ou dans un jardin, il aurait une force visuelle incroyable. »
Mobilier vintage, antiquités, œuvres de jeunes artisans, pièces contemporaines ou créations de Daniel Kai Hirao lui-même : les objets réunis à Diorama ne se laissent pas réduire à un nom d’artiste ou à un prix de marché. Tous s’inscrivent dans l’espace en tant qu’oeuvres anonymes, dans toute leur singularité.
« Je n’ai jamais été attiré par les choses trop convenues », détaille le galeriste. « Plutôt que des pièces célèbres dont la valeur est déjà fixée, je préfère dénicher des objets uniques, que l’on ne trouvera qu’ici, et proposer des usages ouverts, non figés. On me demande parfois de quelle époque vient un objet ou à quoi il servait, mais dans l’ensemble, les visiteurs prennent plaisir à s’approprier librement ce que je leur propose. Les visiteurs étrangers, en particulier, suivent avant tout leur propre inspiration, même si je leur explique la fonction d’origine. »
Une mise en scène soignée
Des portes de greniers datant de l’époque Edo sont ainsi détournées en plateaux de table basse ou suspendues au mur avec leurs enduits écaillés. Une table basse signée Massimo & Lella Vignelli, des chaises en acier créées par Hirao, des blocs de verre brut et des galets soigneusement polis sont joliment disposés, dans une mise en scène qui tient de l’installation artistique. Sur une imposante pièce de chêne blanc patinée par le temps, de délicates céramiques façonnées à la main par des artistes contemporains. De nombreux designers d’intérieur et architectes viennent ici justement pour ce type de pièces anonymes.
« On trouve ici des pièces signées, de l’artisanat africain, des objets animaliers, des moules à daruma en bois, de l’art contemporain, de la céramique… C’est vrai, il y a un peu de tout. Mais à force de chercher ce qui fait l’identité propre de Diorama, mes critères de sélection se sont affinés, jusqu’à ne retenir presque exclusivement que des objets dont l’origine reste volontairement floue. »
C’est peut-être justement parce qu’on y fait toujours des découvertes inattendues que les visiteurs n’hésitent pas à faire plusieurs heures de route pour venir jusqu’ici. Loin des valeurs fixées par le marché, Diorama invite chacun à exercer son propre regard, à redécouvrir le plaisir d’attribuer soi-même du sens et de la valeur aux objets vintage. Dans ce lieu éloigné de l’agitation urbaine, cette approche semble tout simplement naturelle.
Diorama
Adresse : 841-1 Kamikurosawa, Takane-cho, Hokuto-shi, Yamanashi
Prise de rendez-vous possible sur le site internet.
www.dioramajpn.comDiorama
Daniel Kai Hirao est né en 1989 à Tokyo. En 2020, après des expériences dans l’univers de la rénovation et de l’architecture d’intérieur, il se met en quête d’un espace où partager sa propre vision du beau. C’est le début de Diorama. En parallèle, il conçoit également du mobilier original et réalise ses propres œuvres d’art.


Table basse “Saratoga” de Massimo & Lella Vignelli, datant des années 1960. Son design rigoureux aux lignes droites et sa finition noir laqué lui confèrent une élégance sobre et contemporaine. L’ancien petit flacon en aluminium est, lui, d’usage et d’époque inconnus. Table : 132 000 ¥, flacon : 7 700 ¥.

Lampe de table en laiton des années 1990, de fabrication japonaise, avec bras articulé. Son design minimal et industriel tout en laiton, allié à une lumière douce, lui donne une présence intemporelle. Elle apporte une atmosphère délicieusement rétro aux intérieurs. 49 500 ¥.

Table basse en inox et chaise en acier, toutes deux dessinées par Daniel Kai Hirao. La lampe de pharmacie articulée en laiton, tout comme le luminaire précédent, est de fabrication japonaise des années 1990. Table : 132 000 ¥, chaise : 160 000 ¥, lampe : 99 000 ¥.

Tissu traditionnel “kuba”, transmis au sein du royaume africain Kuba fondé au XVIIe siècle. Celui-ci, vraisemblablement réalisé au milieu du XXe siècle, mesure six mètres de long, ce qui laisse penser qu’il était réservé aux grandes occasions comme des rituels. Prix sur demande.

Sculpture représentant un oiseau, en fer et laiton, d’auteur et d’époque inconnus. Le disque en fer accroché au mur, rongé par la rouille, est exposé tel un objet patiné par le temps, à la manière d’une œuvre d’art. Sculpture : 99 000 ¥, disque : 24 200 ¥.

Bloc de verre optique qui réfracte la lumière du jour en créant des effets prismatiques sur le sol et les murs. Hirao confie qu’il est très rare d’en voir de cette taille. Posé un sol parsemé de gravier, il évoque un jardin sec d’inspiration moderne. Prix sur demande.

Galets presque parfaitement ronds, polis à dessein selon toute vraisemblance, dont l’origine géographique et l’époque restent inconnues. On en trouve parfois à Yamanashi comme divinités protectrices. Leur taille en fait des cale-portes idéaux, enroulés de corde ou de cuir, en gardiens de seuil. 33 000 ¥ chacun.

Dans l’espace dédié aux antiquités, à l’arrière de la galerie principale, sont exposés un tabouret réalisé à partir d’un ancien pilier en bois, des flacons, petits coffres et autres objets détournés pour s’intégrer facilement à des intérieurs contemporains.

Masque du peuple Songye (Afrique), à l’allure primitive, au bois non peint qui renforce l’impression d’art anonyme. Chez les Songye, une société appelée Kifwebe portrait des masques lors de rituels. Leurs motifs étaient souvent inspirés de figures animales ou spirituelles de la forêt. 132 000 ¥.

Moules en bois utilisés pour fabriquer des “daruma”, datant probablement des ères Taishō à Shōwa. Le design varie selon les régions. En alignant les trois, leurs différences de style deviennent évidentes. Comme le coffre “nagamochi” de l’époque Edo qui sert ici de support, les antiquités noires sont très prisées à l’étranger. De droite à gauche : 99 000 ¥, 55 000 ¥, 88 000 ¥.

Installée dans la salle des machines rénovée d’une ancienne usine de plastique, Diorama a conservé l’aspect brut de son architecture d’origine. L’atelier de Daniel Kai Hirao est établi juste à côté de la galerie. Il vend certaines pièces issues de matériaux récupérés et retravaillés, qui ont retrouvé de la valeur.
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