En France, le design métallique épuré des années 1980 et la mode streetwear masculine des années 1990 ont le vent en poupe
Deux lieux offrent un regard renouvelé sur le vintage français, des pièces de mobilier de Remix Gallery aux trouvailles mode de Demain Rétro.
À Paris, l’esthétique des décennies passées façonne les goûts contemporains en matière de design et de mode. Du noir minimaliste du mobilier français des années 1980 exposé à la Remix Gallery, à la sélection pointue de vêtements vintage mêlant influences des années 1990 et 2000 chez Demain Rétro, un dialogue se crée entre les époques.
Ces lieux célèbrent non seulement des formes et des pièces iconiques, mais les réinterprètent aussi pour les générations actuelles, offrant un pont élégant et intemporel entre histoire et modernité.
À la Remix Gallery, le design français des années 1980 expose son ambivalence entre minimalisme noir et spectacle coloré

Au sein du marché aux puces de Saint-Ouen, au nord de Paris, la Remix Gallery se spécialise dans le mobilier des années 1980.
Dans les imaginaires, le design des années 1980 revêt souvent l’extravagance colorée au kitsch assumé de la mode et de la pop culture de la décennie. Des années marquées par une certaine liberté, une folie voire de l’insouciance, reflétées dans les modes de vie avec l’âge d’or des boîtes de nuit, hauts-lieux d’une sexualité débridée où la jet-set carbure à la cocaïne.
Les designers italiens en particulier, dont le groupe Memphis, vont revendiquer un mélange de matières, de teintes et de motifs confinant au mauvais goût à dessein. Leur volonté était de dynamiter les intérieurs bourgeois.

Telle un trône, la “Chaise n°4” du duo d'architectes Bécheau & Bourgeois témoigne de la fantaisie des années 1980. À l'arrière, le design osé de l'étagère “Angelo Necessario” de Paolo Pallucco déploie son squelette noir.
Enfants de la décennie, Valérie Bouvier, plasticienne, et Antoine Nouvet, historien des langues régionales, ont baigné dans cette atmosphère créative. C’est pour retrouver ces souvenirs d’enfance qu’ils commencent à collectionner le mobilier des années 1980 et créent Remix Gallery en 2015 au marché aux puces de Saint-Ouen, à Paris. Ils figurent alors parmi les premiers à s’intéresser à cette décennie. Leur premier coup de cœur : la chaise Vilbert du designer danois Verner Panton, un hommage à Gerrit Rietveld édité par Ikea. Une assise très simple, constituée de quatre planches de bois aux accords de couleurs audacieux.
Guidé par un goût pour la théâtralité, le duo sélectionne uniquement des pièces qui ne sont plus éditées et en bon état, afin d’éviter le plus possible d’avoir à les restaurer. L’originalité, pour eux, ne se situe pas toujours du côté de l’overdose de couleur. À l’opposé de l’extravagance des designers italiens comme Alessandro Mendini, le design français de l’époque se caractérise par un minimalisme froid, axé sur le métal. Un reflet sans doute de la face sombre des années 1980 qui suivent le deuxième choc pétrolier et l’apparition du virus du sida.
L’épure des œuvres du début de carrière de Philippe Starck

À ses débuts, Philippe Starck va à l’essentiel du meuble, privilégiant la simplicité des lignes et du noir profond. À gauche, la chaise “Miss Wirt” et à droite la chaise “Miss Dorn” (1981), éditées par Disform, le premier éditeur de Starck (2000€).
Cette simplicité se retrouve dans le travail d’un des designers de prédilection de Remix Gallery : Philippe Starck, par ailleurs un habitué des lieux. Valérie Bouvier et Antoine Nouvet sont les premiers à avoir présenté son travail des années 1980, celui de ses débuts. Cette décennie marque une étape importante pour le designer. Il prend alors son indépendance en refusant de travailler pour d’autres et en allant trouver lui-même des éditeurs pour lancer sa production.
Son mobilier des années 1980 représente ainsi l’essence de son style, à l’instar de la chaise Miss Dorn (1981). Philippe Starck va ici à l’essentiel du meuble, qu’il simplifie pour que seules demeurent des lignes et une galette pour assise. Le tout dans un noir profond, caractéristique de ces années-là. Par la suite, son œuvre deviendra plus organique avec l’apport d’éléments en bois. Mais pour Valérie Bouvier, avec cette chaise, le designer avait déjà tutoyé les sommets. C’est par la Miss Dorn que le duo a commencé son travail avec le designer, et c’est avec cette pièce qu’elle recommande de se lancer dans l’univers des années 1980.
Un mobilier souvent artisanal, produit en petite série

La table “Agathe”, ébène et courbe, de Gilles Derain (éditée par Lumen Center) sur laquelle est posé le vase “Bon Temps” de Nathalie du Pasquier, membre de Memphis, ainsi que le catalogue de l’exposition dédiée aux pièces en aluminium de Philippe Starck organisée par la Remix Gallery en 2024.
D’autres designers explorent la ligne noire, assez fine, tout en épure comme Gilles Derain et sa table basse Agathe, ondulant comme une vague. Dans un coin de la galerie, un secrétaire de Pascal Mourgue se ferait presque oublier. Avec ses 13 cm d’épaisseur, il est conçu pour les petits espaces contemporains. Car comme le note Valérie Bouvier, dans les années 1980, les divorces se banalisent. Après la séparation, les familles occupent deux appartements, souvent de moindre envergure. Il faut donc gagner de la place. Les meubles pliants ont alors la côte, en témoigne le tabouret ou guéridon Mickville de Philippe Starck dont les pieds se replient sous l’assise pour mieux pouvoir disparaître derrière une porte.

Dans les années 1980, les meubles discrets se multiplient pour parer à la réduction des surfaces des appartements. Ici, le secrétaire “Face à Face” de Pascal Mourgue de seulement 13 cm d’épaisseur (1800€) et le tabouret pliant “Mickville” de Philippe Starck édité par Aleph Ubik (4000€).
Ce mobilier connait aujourd’hui un regain d’intérêt de la part des collectionneurs. Un succès qui s’explique par la rareté de certaines pièces. De nombreux designers produisaient alors leurs meubles de manière artisanale, parfois même à la main, et les pièces étaient numérotées. Le cabinet Tra d’Alessandro Mendini qui égaie la Remix Gallery est ainsi le deuxième exemplaire d’une série de neuf. Comme lui, certains designers avaient une démarche de plasticiens tel Pierre Sala, un autre favori de Valérie Bouvier.

Le cabinet “Tra” d’Alessandro Mendini, numéroté 2 sur 9 et édité par Zero Designo.
« Pierre Sala, c’est un personnage extraordinaire », s’enthousiasme-t-elle. « Le designer du spectacle de la maison. Il a dessiné des chaises aux noms magiques : “Licorne”, “Piranha”, “Autre Phoenix”. Comme il faisait des scénographies pour le théâtre, toutes ses pièces ont un petit truc en plus, un élément narratif spectaculaire. Une seule de ses chaises dans un intérieur donne un effet wouahou ! »
À ceux qui s’inquièteraient de la manière dont le mobilier des années 1980 pourrait s’intégrer dans leur intérieur, Valérie Bouvier répond que ces pièces sont très versatiles. Elles résonneront autant avec du mobilier en bois des années 1950 comme celui de Charlotte Perriand qu’avec des pièces art déco, et même du mobilier ancien type napoléonien. « Les années 1980, c’était très culotté. Les gens étaient libres » conclut-elle. La liberté des designers se ressent dans leurs pièces, irrésistibles, qui amèneront fraîcheur et gaieté à n’importe quel environnement.

Valérie Bouvier, cofondatrice de Remix Gallery, assise sur le bureau “Prima Duna” de la série “Légion Étrangère” d’Alessandro Mendini, au vert d’eau de la chaise “Dick Deck” de Philippe Starck (édité par Aleph).
Remix Gallery
Adresse : Marché Paul Bert, allée 6, stand 91, 96–110 rue des Rosiers, 93400 Saint-Ouen, France
Téléphone : +336 6378 0693
Les samedis et dimanches de 10h à 18h et les vendredis de 9h à 12h.
www.remixgallery.frDemain Rétro, une mode homme intemporelle entre passé et présent

Le concept-store Demain Rétro, situé dans le Marais à Paris, propose une sélection pointue de vêtements vintage et créateurs contemporains pour homme et femme.
Dans un espace aéré aux murs de pierres apparentes, niché dans le haut Marais à Paris, Demain Rétro déploie sur ses portants une curation pointue de vêtements vintage pour homme et femme. Les amateurs des années 1990 et 2000 y trouvent leur bonheur, avec une sélection de pièces de grandes marques en parfait état, de Prada à Jean Paul Gaultier. Certains créateurs aujourd’hui plus confidentiels y rencontrent aussi un franc succès comme Marithé + François Girbaud, grands noms du jeans des années 1980 renommés pour l’industrialisation du délavage stonewash.
Créé en 2020 par Thibaud Beugre, un chineur passionné surpris par le manque d’offre vintage pour homme, Demain Rétro prend d’abord la forme de pop-ups organisés avec le collectif RE_CHERCHE vintage store. Puis son fondateur est invité à deux reprises par Le Printemps Haussmann, avant d’occuper un espace pop-up trop vaste pour sa seule sélection. Thibaud Beugre invite alors d’autres marques et créateurs, de mode, de décoration intérieure ou de parfums. L’idée d’un concept store fait son chemin avant de prendre forme rue du Temple à Paris.

Lucia, conseillère de vente du magasin, réarrange l’espace de mode vintage homme.
Jouer avec les époques et les influences pour composer des silhouettes modernes
En boutique, la sélection vintage réalisée par Thibaud et son équipe (chaque membre, au style affirmé, est mis à contribution) est complétée par l’apport de curateurs de talent. Vintage Therapy ou Mission Vintage, entre autres, réalisent un travail de sourcing minutieux qui alimente la variété des pièces proposées, renouvelées toutes les deux semaines. Il y en a pour toutes les bourses, d’une centaine à parfois des milliers d’euros pour des pièces issues de défilé.
À gauche, une tenue composée d'un sweat Yohji Yamamoto et d'un short en jeans Marithé + François Girbaud, en vitrine du magasin. Demain Rétro dispose d'une section spécifique avec une curation de jeunes créateurs comme Alexandre Sintive, à droite.
Le concept de Demain Rétro a tout de suite été d’associer des vêtements vintage à de la création contemporaine. Une manière de jouer avec les époques et mélanger les influences pour éviter d’afficher un look trop « daté ». Liva Hing, le manager de la boutique, recommande ainsi de mettre en avant une pièce forte en évitant l’accumulation de marques. « Sinon, cela fait brouillon et on ne sait plus quoi regarder ».
Un conseil mis immédiatement en application avec la création d’une silhouette composée d’un blouson imperméable Prada vintage imprimé pied-de-poule et d’un jean brut large au tombé volumineux. Cette pièce originale, à la taille ajustable pour plus de versatilité dans la manière de la porter, est pour l’heure l’unique création du jeune designer Alexandre Sintive.

Liva Hing, le manager de Demain Rétro, porte un blouson Prada vintage (420€) associé au volumineux jean brut du jeune créateur Alexandre Sintive (240€).
Des pièces vintage présentées comme neuves
Thibaud Beugre a à cœur de donner de la visibilité à des créateurs qui en ont peu, en mémoire de ses propres débuts en pop-up. Dans la partie contemporaine de Demain Rétro, l’atelier londonien Studio Ü est bien représenté. Adepte de l’upcycling, la marque recompose des vêtements vintage pour créer des pièces audacieuses à l’instar de ce jersey au bas replié et cousu pour en raccourcir la silhouette. Associé à un short en jean Marithé + François Girbaud aux accents déstructurés, cela donne une tenue esprit streetwear des années 1990 qui ne manque pas d’allure.
Aux côtés des vêtements, le concept store propose aussi une sélection d’accessoires, de bijoux et d’objets de décoration. Studio Ü y a encore la part belle avec une série de casquettes contemporaines aux bords délibérément usés, dans une démarche très punk londonien. Dans un bel espace, bien rangé, les pièces vintage sont présentées comme neuves par Demain Rétro, à mille lieux des fripes traditionnelles pour homme au fort parfum de naphtaline. On y retourne avec plaisir saluer l’équipe à l’accueil chaleureux et s’enquérir des nouveaux arrivages, en feuilletant au passage un des beaux magazines en exposition. Une source d’inspiration revigorante et bienvenue au sein d’un quartier à la proposition mode déjà foisonnante.
À gauche, un jersey en matériau upcyclé réalisé par l’atelier londonien Studio Ü (350€) associé à un short en jean vintage Marithé + François Girbaud (140€). À droite, des casquettes Studio Ü au bord sciemment usé (145€ l’unité).
Demain Rétro
Adresse : 154 rue du Temple, 75003 Paris, France
Téléphone : +331 8509 0380
Du mardi au samedi de 11h30 à 19:30. Dimanche : de 13h à 19h30. Fermé les lundis.
www.demainretro.comLES PLUS POPULAIRES
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