« Le Mingei reste toujours insaisissable, cent ans après sa naissance »

Sō Sakamoto est un potier d’Onta-yaki, une forme de céramique datant du XVIIIe siècle mise en avant par Sōetsu Yanagi, fondateur du Mingei.

18.11.2025

TexteYoshinao Yamada PhotographiesMitsuyuki Nakajima

Savoir honorer l’histoire, préserver la tradition tout en mettant en œuvre sa propre sensibilité et son savoir-faire pour continuer à se dépasser : telle est la posture des artisans contemporains. Mais comment ces créateurs abordent-ils le Mingei, s’y confrontent-ils et l’intègrent-ils dans leur pratique ?

Hériter de la tradition tout en acceptant le changement

Sō Sakamoto, potier d’Onta-yaki, est né en 1990 dans le département d’Ōita. Après avoir été diplômé du lycée technique d’Arita (section céramique) dans le département de Saga, il se forme auprès de Noriyuki Yamamoto, maître du célèbre four Iwai-gama dans le département de Tottori. Après deux ans d’apprentissage, il rejoint l’atelier familial, Sakamoto Kōgama, où il travaille aujourd’hui aux côtés de son père.

« Des noms de lieux jadis indéchiffrables sont désormais sur toutes les lèvres ». C’est ainsi que parlait Sōetsu Yanagi, l’un des fondateurs du Mingei, de l’Onta-yaki, la céramique originaire de Sarayama dans la ville de Hita (département d’Ōita). Depuis l’ouverture de ses fours en 1705, cette poterie s’est transmise strictement de père en fils. C’est en héritier de cette tradition que Sō Sakamoto, de l’atelier Sakamoto Kōgama, poursuit aujourd’hui sa propre création.

En 1955, l’Onta-yaki est inscrite au registre des biens culturels immatériels importants du Japon. Les kara-usu, grands marteaux en bois hydrauliques utilisés pour broyer l’argile et immuables depuis des siècles, continuent de fasciner les visiteurs. Pour Sō Sakamoto, la magie de l’Onta-yaki réside dans son travail entièrement manuel, de la préparation de la terre jusqu’à l’extraction des pièces du four. Mais il se montre aussi très conscient des enjeux actuels.

« La préservation de l’Onta-yaki est en grande partie liée à sa transmission historique et à sa désignation en tant que bien culturel. Par principe, je respecte ces règles. Mais si on remonte un peu en arrière, il apparaît que les méthodes reconnues comme patrimoine culturel ne sont pas nécessairement les seules à être justes. Certains artisans se sont éloignés de ces codes, et il me semble que, si l’on indique clairement que l’on s’affranchit des règles, alors, en théorie, tout est permis. »

Des pièces façonnées par Sō Sakamoto. L’Onta-yaki se distingue par une variété de techniques : le “tobi-kanna”, qui consiste à inciser la surface avec un rabot tout en faisant tourner le tour de potier, ou encore le “hakeme”, où un motif est créé au pinceau sur la pièce mise en rotation. De haut en bas, dans le sens des aiguilles d’une montre : assiette de 21 cm (à partir de 3 850 ¥), bol à riz de 12 cm (à partir de 3 300 ¥), bol de 15 cm (à partir de 3 080 ¥), plat de 30 cm (à partir de 8 800 ¥), bol de 18 cm (à partir de 3 960 ¥) ; au centre, assiette de 15 cm (2 420 ¥).

Concilier héritage historique et réalité contemporaine

Sō Sakamoto au travail. Depuis le “kikuneri”, le pétrissage en forme de chrysanthème, les gestes avancent avec force et régularité. Dans l’atelier qu’il partage côte à côte avec son père, Takumi, il arrive souvent qu’ils travaillent en écoutant de la musique.

« L’Onta-yaki me donne l’impression de rendre visible un rythme profondément humain », confie Sō Sakamoto. « Peut-être est-ce pour cela qu’il touche encore les gens aujourd’hui. Et puis, la dimension humaine compte énormément. »

Sō Sakamoto est actuellement en train de construire un nouveau four. Il continuera à utiliser un four grimpant (nobori-gama) traditionnel, mais souhaite pouvoir se servir d’un four de confection plus contemporaine et cela, pour plusieurs raisons. Aujourd’hui, il ne peut plus compter sur la force de travail d’une grande famille, comme par le passé, ce qui rend la cuisson sur plusieurs jours dans un nobori-gama particulièrement difficile. L’approvisionnement en bois et en cendre devient aussi chaque année plus compliqué alors que l’efficacité énergétique de ces fours est largement inférieure à celle des fours modernes, ce qui rend leur entretien futur incertain.

Heureusement, Sō Sakamoto note que le terrain local offre une argile de qualité, et que des méthodes permettant de la prélever de façon durable se sont développées ces dernières années. Face à l’histoire, il faut continuer à réfléchir, de manière réaliste, aux moyens de préserver ce berceau de la production d’Onta-yaki.

Interrogé sur sa conception du Mingei, Sō Sakamoto avoue : « Plus on l’étudie, moins on le comprend. »

« Le Mingei est désormais un pan de notre culture. Chacun parmi la dizaine d’artisans de notre village aurait une réponse différente à cette question, et moi-même, il m’arrive d’y répondre différemment. Mais, étant né dans cet environnement, je n’ai d’autre choix que de continuer. Ce qui me fascine surtout, c’est qu’après cent ans, les discussions sur ce qu’est le Mingei continuent. Chaque personne est différente et ce qui est intéressant, c’est d’explorer toutes ces variations. Parfois, on rencontre des personnes qui ébranlent nos certitudes. On trouve plus de sens dans le partage de nos valeurs que dans les objets en eux-mêmes finalement. »

Des pièces attendant d’être cuites dans le four grimpant, aux côtés des œuvres de son père.

Aujourd’hui, neuf ateliers produisent encore de l’Onta-yaki. Mais ce nombre pourrait diminuer, estime Sō Sakamoto. Il rappelle toutefois qu’au cours de ses trois cents ans d’histoire, le village est déjà descendu jusqu’à cinq ateliers : « À l’échelle du temps long, ce ne sont pas des fluctuations si surprenantes. »

La cuisson dans le four grimpant n’a lieu que quelques fois par an. Entre le premier feu destiné à chasser l’humidité du four et la cuisson finale, plusieurs jours sont nécessaires. Le contrôle de la flamme est délicat : seules 60 % des pièces atteindraient un résultat pleinement satisfaisant.

Sō Sakamoto s’est fait remarquer quand il n’était encore qu’un jeune potier d’Onta-yaki, et il constate aujourd’hui l’émergence d’une nouvelle génération. Le village, jadis fermé, s’était ouvert sous l’impulsion de Sōetsu Yanagi. Aujourd’hui, Sō Sakamoto estime qu’il continue de s’ouvrir, en phase avec les enjeux de mobilité et d’information contemporains.

« Le Mingei a longtemps fonctionné avec un système de fortes ventes et faibles marges, ce qui devient difficile à maintenir. Même si Onta bénéficie d’un environnement favorable, la poterie engendre désormais des coûts importants. En parallèle, il existe aujourd’hui de nombreux moyens de se lier aux amateurs sensibles à la valeur et à la beauté des objets.

Je souhaite partager un maximum d’expériences avec mes jeunes collègues pour les aider à faire leurs choix. Notre travail consiste à produire et à montrer. Je souhaite qu’ils aillent à la rencontre d’artisans d’autres régions, qu’ils visitent des musées, qu’ils découvrent des choses. Au final, l’humain ressort de l’objet. Il ne s’agit pas seulement d’apprendre des techniques superficielles, mais de développer quelque chose de plus profond. C’est aussi un rappel que je me donne à moi-même. Transmettre ce que nous avons reçu et, à travers notre travail, rendre hommage à l’histoire de l’Onta-yaki, voilà ce qui me rend le plus heureux. »

Au fil de la discussion, Sō Sakamoto confie en souriant que les moments les plus paisibles sont ceux passés, l’esprit libre, face à la terre. Ces mains sont celles qui bâtiront l’histoire à venir.

L’atelier et l’espace de vente de Sakamoto Kōgama.

Les pièces fraîchement tournées sont alignées sur une planche installée en hauteur, sous le plafond. Dans la boutique, on trouve aussi des invendus découverts dans une vieille remise récemment démontée pour permettre la construction du nouveau four. L’offre varie selon les périodes. L’atelier peut se visiter sur demande et le lieu, emblématique, attire de nombreux visiteurs. À l’arrière gauche se trouve la maison familiale : une véritable unité entre lieu de vie et lieu de travail.

Au cœur du village d’Onta, l’eau de la rivière actionne les “kara-usu”, ces immenses marteaux qui broient l’argile. Le bruit des marteaux et le murmure de la rivière ont profondément marqué Sōetsu Yanagi et Bernard Leach. L’argile broyée passe ensuite par plusieurs étapes avant d’arriver dans les ateliers.

Chaque four du village possède son propre “kara-usu”. L’argile d’Onta se caractérise par un noir puissant, faisant ressortir les motifs singuliers créés par les émaux ou les “kanna” (rabots).