Les profondeurs infinies du Mingei selon Naoto Fukasawa

Le designer de renom et directeur du Musée des Arts populaires japonais partage la puissance discrète de ce mouvement unique au Japon.

14.04.2025

TexteShoji Ikai PhotographiesShio Yoshida

En tant que lieu sacré du Mingei, le Musée des Arts populaires japonais (Nihon Mingei-kan) attire de nombreux visiteurs. Naoto Fukasawa, son directeur depuis douze ans, revient sur la place actuelle du Mingei et ses orientations futures.

Naoto Fukasawa

Designer industriel / Directeur du Musée des Arts populaires japonais

Né en 1956, Naoto Fukasawa est célèbre pour ses créations sobres mais puissantes, qui privilégient la perspective de l’usager plutôt que l’empreinte du designer. Son travail couvre un large éventail de domaines, allant des instruments de précision électronique à l’architecture. Figure influente du design mondial, il occupe la fonction de directeur du Musée des Arts populaires japonais et celle de vice-président de l’Université des beaux-arts de Tama.

Une sensibilité partagée, malgré des perspectives différentes

En dehors du Japon, Naoto Fukasawa a collaboré avec certaines des plus grandes entreprises au monde. Pourtant, depuis juillet 2012, il occupe également le poste de cinquième directeur du Musée des Arts populaires japonais. Pourquoi une figure de proue du design industriel, apparemment à l’opposé du Mingei, a-t-elle pris les rênes de cette institution ?

« Je comprends que ma nomination ait pu susciter quelques remous. Mais je n’ai pas été le premier designer à diriger le Musée d’artisanat folklorique japonais. »

En effet, le troisième directeur n’était autre que Sōri Yanagi, figure majeure du design industriel japonais d’après-guerre, connu pour des chefs-d’œuvre tels que son tabouret Papillon. Bien que fils de Sōetsu Yanagi, le fondateur du Mingei, Sōri s’en était d’abord éloigné. Cependant, à la fin des années 1950, il commence à produire des théières noires dans le four de Kanjirō Kawai. Directeur du musée pendant près de trente ans, de 1977 à 2006, il s’est consacré à faire rayonner la pureté et l’intégrité du Mingei à travers le monde.

« Sōri Yanagi était une icône et la personne que j’ai le plus respecté dans ma carrière. Lorsqu’il est décédé en 2011, j’ai ressenti comme un devoir, en tant que designer marchant sur ses traces, de perpétuer l’héritage du Mingei. »

Douze ans après sa prise de poste, que retient Naoto Fukasawa du Mingei ?

« Chaque fois que je contemple la collection ou l’espace du musée, je me surprends à dire : “Wow !” C’est une succession de découvertes sans fin. Mais ce qui m’émerveille le plus, c’est qu’un seul homme ait parcouru le Japon pour rassembler plus de 17 000 œuvres de Mingei et consacré sa vie à en transmettre l’esprit. C’est prodigieux. »

Sōetsu Yanagi n’était pas qu’un collectionneur. Sa vaste connaissance, sa lucidité et son réseau lui ont permis de partager ses trouvailles. Le Musée des Arts populaires japonais incarne cette philosophie.

« Ce n’est pas un musée où l’on se contente d’admirer de beaux objets. C’est un lieu où l’on découvre des valeurs culturelles, où l’on décortique des idées et où l’on partage des prises de conscience. Sōetsu Yanagi n’a pas seulement préservé les pièces qu’il a collectées, il a créé un espace où leur valeur pouvait être transmise au plus grand nombre. Il avait la conviction absolue que leur essence résonnerait même auprès des générations futures. »

Un siècle s’est écoulé depuis que Sōetsu Yanagi a posé les bases du Mingei, et la société a radicalement changé. À l’ère de la diffusion instantanée des informations numériques, que représente le Mingei aujourd’hui ?

« Le monde regorge d’objets et les techniques de fabrication ont considérablement évolué. Le Japon a atteint une certaine stabilité économique et la qualité de vie s’est améliorée. Avec cette diversification des modes de vie, notre regard sur les objets s’est ancré davantage dans la réalité. Pourtant, nous aspirons toujours à la pureté et sommes fascinés par la simplicité. C’est un sentiment universel. »

Le Mingei offre une voie directe et intuitive vers une richesse qui dépasse la raison. Le Musée des Arts populaires japonais a fait le choix délibéré de ne pas apposer de cartels explicatifs sur ses œuvres. Cette absence invite les visiteurs à un face-à-face brut avec les objets, favorisant une appréciation instinctive de leur beauté intrinsèque.

« Même si nos points de vue diffèrent, nous pouvons partager une même sensibilité. J’appelle cela une “synchronisation prédestinée”. En tant que directeur et professeur d’université, je ressens la même émotion que nos visiteurs face aux œuvres. Cette universalité est l’essence même du Mingei. C’est aussi la raison pour laquelle de nombreux jeunes du monde entier viennent au musée. »

Naoto Fukasawa aimerait toutefois que davantage de jeunes Japonais visitent le musée.

« Peut-être en raison de certaines lacunes dans l’enseignement artistique, il existe au Japon une idée selon laquelle l’art est réservé aux excentriques et que la créativité est perçue comme inférieure à l’intelligence. Or, Sōetsu Yanagi a élevé la créativité au rang de philosophie au sein du Mingei, l’assimilant à la foi. La créativité n’est pas marginale, elle est au cœur de la société. »

Le Mingei nous enseigne des vérités fondamentales sur la vie, sans chercher à devenir un phénomène de mode ou un mouvement. Il se contente d’exister.

« Il s’agit d’affronter les objets avec sincérité. D’insuffler de la chaleur dans le quotidien par le travail artisanal. Puisque le design est lié à tout ce qui nous entoure, le Mingei a encore beaucoup à nous apprendre. Mais on ne vise pas à créer du Mingei, ni à l’imiter. C’est un territoire insaisissable, que l’on peut admirer toute sa vie sans jamais l’atteindre. Si je devais résumer mon ressenti aujourd’hui, je dirais simplement : “Je suis humble face au Mingei.” »

Le Musée des Arts populaires japonais

Fondé en 1936 par le philosophe et penseur religieux Sōetsu Yanagi, le Musée des Arts populaires japonais a pour mission de promouvoir la beauté et la philosophie du Mingei. Il abrite environ 17 000 œuvres, dont des céramiques, des textiles, des laques et des peintures collectées par Sōetsu Yanagi. L’architecture du musée, aussi bien extérieure qu’intérieure, a été pensée dans les moindres détails.

Adresse : 4-3-33 Komaba, Meguro-ku, Tokyo
Téléphone : 03-3467-4527
Horaires : Bâtiment principal 10h–17h / Bâtiment ouest 10h–16h30
Fermé : Lundi (ou le lendemain si le lundi est férié)
Ouverture du bâtiment ouest : Uniquement le deuxième et le troisième mercredi et samedi de chaque mois
Tarif : Plein tarif  1,200 ¥