Après noma, Ryo Haga compose les saveurs d’un « Japon pur »

Suite à son expérience dans l'un des meilleurs restaurants du monde, le chef s'emploie à créer un goût inconnu mais familier des Japonais.

11.11.2025

TexteAyano Yoshida PhotographiesRyo Tsuchida

Ryo Haga est né en 1991. Après une formation à Tokyo, il devient l’élève de Yoshihiro Imai au restaurant monk à Kyoto. Durant cette période, il effectue un stage à Kadeau Copenhagen. De 2022 à janvier 2025, il travaille à noma à Copenhague. Il prépare aujourd’hui l’ouverture de son propre établissement, tout en organisant régulièrement des pop-ups au Japon et à l’étranger.

« Je veux réinterpréter et reconstruire les ingrédients, la sensibilité et l’esthétique propres au Japon pour les exprimer dans mes assiettes. Ce que je cherche à créer n’appartient pas à un genre comme la cuisine japonaise ou la gastronomie washoku, mais transmet de manière authentique la beauté du Japon. C’est ce que j’appelle un “goût inconnu mais familier” », confie le chef Ryo Haga.

Superposer les saveurs pour créer un “goût inconnu mais familier”

Lors du pop-up organisé les 31 août et 1er septembre à eatrip kitchen, il a proposé neuf plats autour du thème du “voyage des saveurs”. Ici, une assiette inspirée du vert des potagers : tofu au soja vert, gombos et pois larmes.

Ryo Haga conçoit ses plats comme des tableaux où les couches se fondent les unes dans les autres. « Je veux qu’ils aient la transparence d’une aquarelle et la profondeur d’une peinture à l’huile », explique-t-il. Lors d’un pop-up organisé récemment à eatrip kitchen, il a imaginé un plat inspiré par la couleur verte des potagers : pois larmes, jeunes noix de ginkgo, gombos, et un tofu préparé à partir de lait de soja vert. Le tout était accompagné d’une sauce translucide à base d’un bouillon de tomate et de kōji fermenté à l’acide lactique.

« Chaque ingrédient pris isolément a une saveur subtile, mais en les superposant, je voulais montrer qu’ils pouvaient avoir du corps », poursuit le chef.

Un convive raconte : « Chaque bouchée révélait une nouvelle couche de goûts, d’arômes et de textures, mais tout s’unissait harmonieusement sur la langue. J’ai été touché de reconnaître des ingrédients connus, dont la combinaison produisait pourtant une saveur inédite. »

L’un de ses plats récents préférés. De gauche à droite : gingembre Yanaka enrobé d’une purée de physalis, melon accompagné de brins de sapin de Nikko, et pickle léger de fraise verte. Un ensemble délicat, presque pictural.

Le thème du pop-up, “a touch of pure Japanese”, résume la direction que Ryo Haga envisage désormais pour sa cuisine. 

« Ce n’est pas la cuisine japonaise en tant que catégorie, mais le Japon en tant qu’attitude. Le mot “touch” signifie toucher, mais j’y vois aussi l’idée de se rapprocher doucement de quelque chose, d’entrer en contact avec délicatesse. Si je cuisine à l’étranger, cela veut dire laisser affleurer un peu de ma sensibilité japonaise dans ce contexte. Et cela se distingue de la démarche d’un chef étranger qui rend hommage à la gastronomie japonaise : il existe sans doute des saveurs et des idées que seul quelqu’un né et élevé au Japon peut exprimer. C’est ce que recouvre le mot “pure”. »

Derrière ces mots, apparemment abstraits, se dessine un paysage nourri d’expériences concrètes.

De Kyoto à Copenhague, une philosophie née du langage culinaire

Ryo Haga conserve précieusement ses notes et les menus des repas partagés durant ses années au Danemark, qu’il relit régulièrement. Ses émotions et idées du moment y sont consignées, comme des griffonnages spontanés.

Au début de sa carrière, Ryo Haga s’est formé à Kyoto, au restaurant monk. Il se souvient : « Le chef-propriétaire Yoshihiro Imai m’a appris à traduire directement le paysage dans l’assiette. C’était une leçon fondamentale. »

Chaque jour, ils se rendaient ensemble dans les marchés ou les potagers environnants pour choisir des produits frais, et passaient même leurs jours de congé à pratiquer la cérémonie du thé. Après cette période privilégée, il part pour Copenhague et rejoint noma, l’un des meilleurs restaurants au monde, où il restera environ trois ans, jusqu’en janvier dernier, en tant que chef de partie. Durant son séjour, noma a organisé deux pop-ups à Kyoto. Ryo Haga a ainsi eu l’occasion de revisiter, à travers le regard d’une cuisine étrangère, les ingrédients et la culture culinaire japonaise qu’il connaissait intimement depuis sa formation — une expérience qui, dit-il, a considérablement élargi sa vision.

Deux livres sources d’inspiration. À gauche, un recueil d’œuvres du peintre qu’il admire, Asger Jorn. À droite, “Profession romancier” de Haruki Murakami.

Ce double regard a élargi sa perspective, tout comme la lecture d’un livre découvert à la même époque : Profession romancier de Haruki Murakami.

« Murakami écrit : “Explorer les possibilités du langage aussi loin que possible est un droit inhérent à tout écrivain. Sans cet esprit d’aventure, rien de nouveau ne naît.” Il dit aussi que pousser plus loin la dimension instrumentale de la langue japonaise contribue à sa régénération. J’ai compris qu’en remplaçant “langage” ou “japonais” par “cuisine” ou “culture”, cela fonctionnait tout autant. »

Un regard en constante évolution

Lorsqu’il a acheté un nouveau couteau cette année, il y a gravé le prénom de son premier enfant, né récemment. C’est un “deba” en ébène, au design simple et sobre. Il possède aussi un couteau portant son propre nom.

Ces expériences ont nourri une réflexion qui s’approfondit sans cesse. Ryo Haga sent aujourd’hui que son univers culinaire prend forme, et il commence à en saisir les contours. Sa prochaine étape : ouvrir son propre restaurant.

Au Japon ou ailleurs ? Il n’a pas encore tranché. Mais son travail, comme sa pensée, ne cesse d’évoluer. Ryo Haga poursuit sa recherche d’un goût qui serait à la fois inconnu et familier, et qu’il nomme “purement japonais”.

 

PERSONAL QUESTIONS

La personne que vous aimeriez rencontrer ?
Asger Jorn, l’artiste d’avant-garde danois aujourd’hui disparu. Sa liberté, son esprit frondeur et l’énergie vitale de ses couleurs me fascinent. J’aimerais savoir quel homme il était.

 

Une phrase qui vous inspire ?
« LEAVE NO DOUBT ». Ces mots avaient été inscrits au mur par l’ancien chef de noma. Littéralement : « Pars sans laisser de doute. » J’y vois un état d’esprit combatif, direct et sans concession.

 

Un contenu que vous regardez souvent ?
Radiohead – In Rainbows From the Basement (April 2008). Il y a dans ce live quelque chose de brut et d’émotionnel, mais aussi une précision et une maîtrise extrêmes. C’est ce genre d’équilibre que je recherche dans mes plats.

 

Un lieu que vous aimez ?
Le Louisiana Museum of Modern Art, à Copenhague. Il expose notamment des œuvres d’Asger Jorn. Côté restaurants : Osteria del Mirasole à Bologne, et Ultramarinos Marin à Barcelone.

 

Les actualités de Ryo Haga sont à retrouver sur son compte Instagram.

Ryo Haga.