Florent Weugue, un sommelier en thé au Japon

23.01.2020

TexteSolenn Cordroc'h

“Le thé est une œuvre d’art et a besoin de la main d’un maître pour manifester ses plus nobles qualités”, écrivait Kakuzo Okakura dans son ouvrage Le livre du thé. Un propos que ne pourrait que confirmer Florent Weugue, figure reconnue dans le milieu spécialisé du thé japonais. Nourri par l’art de vivre du thé incarnant la pureté et le raffinement, Florent est le premier Français à obtenir en 2009 le diplôme certifié de Nihoncha instructor, nommé également “sommelier en thé japonais”.

Avide de dispenser son expertise pointue sur les subtilités des thés japonais, il est chargé de sélectionner des produits de thé et accessoires pour la boutique en ligne Thés du Japon. Pendant son temps libre, il partage ses connaissances et découvertes, en anglais et en français, sur ses deux blogs pour familiariser ses lecteurs avec la richesse et la profondeur des thés japonais.

Pen Magazine s’est entretenu avec Florent Weugue pour évoquer plus amplement sa vocation de sommelier en thé japonais.

Comment devient-on sommelier en thé au Japon ?
Le diplôme de « Nihoncha Instructor » (Nihoncha signifie « thé japonais ») s’obtient à la suite de deux examens. Un premier, écrit, théorique, sanctionnant des connaissances globales sur le thé (agriculture, manufacture, histoire, méthodes d’infusion, chimie, etc) et un second, pratique, de reconnaissance et d’évaluation du thé (type, période de récolte, etc).

D’où vous vient votre appétence pour le thé ?
J’avais un certain intérêt pour le thé depuis assez longtemps, sans m’y être spécialement intéressé de près jusqu’à mon arrivée au Japon. J’ai alors pu goûter des thés qui m’ont beaucoup plu et qui m’ont donné l’envie d’en savoir plus. Malheureusement, aucun des Japonais de mon entourage n’avait la moindre connaissance du thé, ce qui m’a obligé à étudier par moi-même, à acheter des ouvrages traitant du thé japonais qui m’ont ouvert les yeux sur un univers riche et captivant. La rencontre avec des spécialistes passionnés a parachevé de faire de moi un grand fan de thé japonais. Rétrospectivement, je pense que si les Japonais de mon entourage avaient été capables de m’expliquer les bases, je n’aurais jamais découvert le thé si en profondeur. C’est encouragé par un spécialiste renommé que j’ai relevé le défi de devenir le premier français et l’un des tout premiers étrangers “Japanese Tea Instructor”, pour avoir une formation réelle et dans le but inavoué d’en faire peut-être mon métier.

Avez-vous été de suite bien admis dans le cercle des initiés du thé au Japon ou avez-vous dû trouver votre place en tant qu’étranger ?
Le fait de parler japonais et d’avoir un diplôme reconnu dans le domaine du thé fut un véritable coup de pouce, mais trouver du travail fut presque plus difficile dans ce milieu qui n’échappe pas à la crise. Il m’a fallu quelques mois pour trouver mon premier travail dans une société possédant plusieurs boutiques dans la région de Tokyo. En revanche, lorsqu’il a fallu se fournir pour la boutique Thés du Japon, les contacts ont de suite été très bons et positifs. Aujourd’hui, le monde du thé japonais s’est beaucoup internationalisé et cherche de nouveaux marchés, conséquence directe de la crise importante que vit le thé au Japon depuis les années 90.

Quel serait le thé idéal à consommer pour lire Pen Magazine ?
D’une manière générale, il n’existe pas de thé idéal. La variété des arômes, les régions de production, les cépages et bien d’autres facteurs entrent en jeu, donc tout est une question de goût et d’humeur du moment. Je recommanderais cependant un sencha élégant, léger en bouche mais très parfumé, avec cependant une torréfaction légère.

Quel est votre thé de prédilection ?
Là encore, je préfère profiter de la variété d’arômes quasi infinie qu’offre le thé. En ce moment, j’apprécie particulièrement un sencha de Shizuoka conçu avec le cépage Benifûki (qui est en réalité un cépage thé noir) qui possède un parfum floral et fruité vraiment riche et surprenant.
Je porte par ailleurs un intérêt tout particulier ces derniers temps pour les thés noirs japonais, un genre en plein développement dont la qualité a considérablement augmenté ces dernières années.

Quelles sont les régions japonaises les plus propices pour la production de thé ?
Le thé est produit sur la quasi-totalité du territoire japonais. Il est difficile de parler de région plus propice qu’une autre, même s’il est vrai qu’il n’y a pas de région productrice importante au-delà de Saitama et Ibaraki. Chaque zone de production a développé des habitudes de culture et des styles de manufacture plus ou moins différents, mais la recherche de diversification tend à amoindrir ses caractéristiques régionales. L’exemple de Shizuoka, le plus important département producteur au Japon est flagrant, avec des thés en montagne radicalement différents de ceux des plaines, dans des plantations parfois éloignées de quelques kilomètres seulement.

Par quelles étapes commencer pour s’initier au thé japonais ?
Cela est plus facile à dire qu’à faire pour quelqu’un qui n’habite pas au Japon, mais il faut d’abord essayer le plus de thés possibles, en restant concentré dans un premier temps sur le sencha. Il faut surtout appréhender le thé en faisant fi des a priori et des clichés trop présents en Occident dans ce domaine, s’en tenir au goût et non aux petites histoires. Il faut ainsi essayer de comprendre les éléments principaux qui vont faire les grandes différences aromatiques (ombrage, étuvage, torréfaction, cépages, etc).