Ouvrir un restaurant de ramen à Paris, un challenge qu’ont relevé deux Japonais audacieux
Kaitō Hori, propriétaire de Sanjo, et Makoto Saegusa, chef de Menkicchi, sont deux témoins de la ramen mania qui s’est emparée du monde.

Makoto Saegusa à l’œuvre derrière son comptoir dans le restaurant Toritori.
À Paris, il y a toujours eu des restaurants de ramen dans le quartier autour de la rue Sainte-Anne (le “Little Tokyo” parisien). Pourtant, lorsque Makoto Saegusa s’installe en France en 2011 pour y ouvrir un restaurant de la réputée chaîne japonaise Naritake, son concept trouve un écho unique. Outre l’originalité de l’épais bouillon se abura (où l’on ajoute du gras de dos de porc en plus des os et de leur graisse qui parfument déjà le fond de soupe), marque de fabrique de l’établissement, c’est l’attention que Makoto Saegusa porte à la confection de nouilles qui le démarque de la concurrence. Kotteri Ramen Naritake est resté pendant longtemps une référence du ramen à Paris.
Makoto Saegusa emporte son savoir-faire avec lui lorsqu’il rejoint le groupe Kintaro et ouvre le restaurant Menkicchi en 2020, dont les nouilles fait-maison font rapidement la renommée. Suivront deux autres ramen-ya : Tonton, reprenant le concept de tonkotsu ramen (ramen à base de porc) se abura de Naritake (2024) et Toritori, consacré au bouillon de poulet dit paitan (2025).
Un ramen d’esprit français chez Sanjo

Sanjo reprend les codes du bistrot pour proposer des bols de ramen qui se savourent lentement dans un cadre typiquement français.
Designer en France depuis de longues années, ayant notamment cofondé la marque de vêtements Commuun, Kaitō Hori ouvre Sanjo en 2018. Fort de son savoir-faire dans la création de marque, poli au fil de ses années passées dans la mode, il décide de réinventer un classique de la cuisine japonaise à travers le concept de Bistrot Ramen.
« Je voulais me concentrer sur le plaisir de la table à la française », explique-t-il. « Les Français consacrent du temps aux repas, prennent une entrée, un verre de vin, un plat principal puis un dessert. En famille, en amoureux ou entre amis, ils prennent d’abord plaisir à être ensemble avant de savourer la nourriture. Je voulais donc mêler cette culture culinaire avec celle du ramen pour créer une nouvelle forme de ramen-ya ».
Loin du côté fast-food individualisé de la culture ramen au Japon où le temps est souvent compté, Sanjo propose donc des entrées (zensai) et une belle cave à vin, dont une sélection de vins natures. Les zensai nécessitent un certain savoir-faire et une connaissance de la gastronomie japonaise. Kaitō Hori a donc décidé de s’entourer d’une équipe japonaise dès l’ouverture, dont le chef Wataru Sejima qui officiait auparavant dans un restaurant trois étoiles au Michelin. L’équipe s’est aussi formée six mois durant auprès d’une institution du ramen kyotoïte vieille de quarante ans.

Kaitō Hori (à droite), designer et créateur de Sanjo, accompagné d’un des chefs du restaurant, Wataru Sejima.
S’adapter aux contretemps et façons de faire locales
Makoto Saegusa, lui, était bien souvent le seul Japonais en cuisine. Diriger une équipe mixte de Français et d’étrangers n’a ainsi pas toujours été facile. « Au début, j’y étais réticent », se souvient-il. « Je n’y étais pas habitué car je n’avais travaillé qu’avec des Japonais. Cela m’a pris trois à cinq ans pour m’y faire mais une fois que je m’y suis habitué, c’est devenu la norme et je n’y ai plus prêté attention ».
Aujourd’hui chef de restaurants de ramen à succès, il reconnaît qu’il lui a fallu du temps avant de s’habituer aux façons de faire françaises. Parmi les nombreuses surprises qui attendent les entrepreneurs japonais en France, la question immobilière occupe une place prépondérante. Pour Makoto Saegusa, cela signifiait des retards de travaux conséquents avant l’ouverture du restaurant Naritake. Une chose inconcevable au Japon où, si l’on s’engage sur une date, on livre au jour prévu, quitte à faire des heures supplémentaires. Kaitō Hori aussi a subi des déconvenues dans son entreprise immobilière car, dans un pays où les bâtiments sont souvent centenaires, les travaux de rénovation peuvent révéler de mauvaises surprises à réparer.

Le menu de Toritori, dédié au poulet, inclut des gyoza de forme longue originale, fourrés à la volaille.
Mais le plus gros obstacle que le designer et son équipe aient eu à surmonter s’est révélé être la cohabitation avec les habitants de l’immeuble du quartier chic du premier arrondissement de Paris où Sanjo est localisé. Suite à des plaintes concernant les fumets trop puissants que libéraient le bouillon de porc tonkotsu, Kaitō Hori et son équipe ont dû s’adapter et remplacer le porc par un bouillon de poulet.
Pour ne pas troubler la clientèle, le chef Wataru Sejima et sa brigade l’ont formulé avec une certaine richesse de manière à se rapprocher du goût d’un bouillon tonkotsu. Ils sont ainsi parvenus à créer un goût unique de bouillon riche élaboré à partir d’os de poulet et, dans une moindre mesure, de porc, appelé “Toripota”. Une pirouette que Kaitō Hori attribue à leur haute technicité et niveau de connaissance de la gastronomie japonaise traditionnelle.

Le ramen “Toripota” de Sanjo, confectionné à partir d’un bouillon de poulet et de porc.
Makoto Saegusa a aussi opté pour un bouillon de poulet pour son nouveau restaurant Toritori (de tori, « poulet »), après une analyse du marché local. « En France, certaines personnes ne peuvent pas manger de porc », développe le chef. « Je voulais qu’elles puissent aussi goûter aux ramen et nous avons donc proposé un bouillon de poulet, réalisé à partir de viande halal. Dédier un restaurant au poulet faisait sens, d’autant plus qu’il est situé à côté de notre autre concept, Tonton (de tonkotsu), consacré au bouillon de porc ».

Le “Shio Ramen Special” de Toritori, réalisé à partir d’un bouillon “paitan”, une soupe dense au poulet.
Les deux professionnels du ramen continuent de surveiller l’évolution des tendances de nouilles au Japon et adaptent leur offre en conséquence. À Sanjo, cela se traduit par des propositions audacieuses. « Le ramen est bien sûr un plat populaire », poursuit Kaitō Hori.
« Mais nous avons voulu en proposer une version plus raffinée, d’un niveau supérieur à celui de la street food, conforme à notre identité. C’est pour cela que nous avons lancé un ramen à la truffe ». Au menu, on retrouve aussi des “Shiru-nashi Tan-Tan-men” c’est-à-dire des nouilles sans soupe, communes au Japon mais originales d’un point de vue français ou encore un “Hiyashi Ramen”, au bouillon froid de poisson.

Le “Hiyashi Ramen” de Sanjo, à base de bouillon de poisson.
À la clé, une clientèle fidèle
Chez Menkicchi, Tonton ou Toritori, ce sont les nouilles qui reçoivent beaucoup d’attention et sont adaptées en fonction du bouillon qu’elles accompagnent. « Les nouilles de Menkicchi et Tonton, associées à une soupe réalisée à base de gras de porc, contiennent environ 40% d’eau et sont très moelleuses », détaille Makoto Saegusa. « Celles de Toritori sont plus fines, avec seulement 27 ou 28% d’eau ce qui crée une texture croustillante. Comme le bouillon de poulet n’a pas beaucoup de punch, ce sont les nouilles qui lui apportent tout son caractère ».
Les deux ambassadeurs du ramen en France, chacun avec une approche et un regard différent, ont été bien reçus par la clientèle française. Le public ne désemplit pas dans leurs restaurants. Si pour Kaitō Hori les clients français sont plus variés que ceux rencontrés au Japon et nécessitent une certaine flexibilité de la part du personnel, Makoto Saegusa estime qu’ils sont aussi plus prompts à témoigner leur reconnaissance. « Les clients français sont plus portés à exprimer leur satisfaction à la fin du repas, de manière plus fréquente que les clients japonais », confirme le chef. « C’est très gratifiant d’entendre qu’ils ont passé un bon moment et apprécié ma cuisine ».

Sanjo est situé légèrement en-dehors du quartier japonais, dans le 1er arrondissement parisien, et s’adresse à la clientèle plus haut-de-gamme qui le fréquente.
Chez Sanjo, l’attention portée au client va jusque dans les moindres détails. Tout est conçu pour que chacun passe un bon moment. C’est le credo de Kaitō Hori. « Notre force, c’est notre image de marque. Il ne s’agit pas seulement d’aller manger de délicieux ramen mais aussi d’avoir envie d’aller dans cet endroit en particulier. Nous accordons une grande importance à l’espace, au menu, à la décoration et à l’état d’esprit du personnel, afin que les clients viennent naturellement. Les Japonais pensent qu’en proposant de la bonne cuisine japonaise, le restaurant aura du succès. Mais c’est insuffisant. Il faut prendre en compte l’expérience client dans sa globalité pour s’assurer la fidélité des clients ».
Toujours est-il que la popularité du ramen ne faiblit pas en France et dans le monde entier. Makoto Saegusa tout comme Kaitō Hori s’accordent sur la cause de ce succès. L’umami, cette cinquième saveur irrésistible qui met tout le monde d’accord. Les plats sont rares qui peuvent rivaliser avec la complexité d’arômes qu’offre un bol de ramen, tout en restant d’une grande simplicité d’accès. Cette profondeur tient à la combinaison minutieuse d’ingrédients concentrés en glutamate comme les os de poulet et le gras de porc. C’est cette densité, à la fois raffinée et universellement perceptible, qui explique sans doute pourquoi le ramen séduit aujourd’hui aussi bien à Tokyo qu’à Paris : un plat humble, mais d’une intensité gustative qui dépasse les frontières.

Toritori est situé à deux pas de la rue Sainte Anne (ici en arrière-plan) dans le 2ème arrondissement de Paris, le quartier japonais de la capitale.
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