Bientôt la fin de l’innocence pour ces jeunes filles japonaises

« L’innocence, similaire à celle des bodhisattvas (mot sanscrit qui désigne l’être qui désire et s’engage dans la voie de Bouddha) que les jeunes filles possèdent : qu’avons-nous, en tant qu’adultes, à en apprendre ? » Cette question est à l’origine de la série de photographies de Hisaji Hara et Natsumi Hayashi, Gazing Into the World.

Hisaji Hara (né à Tokyo en 1964) et Natsumi Hayashi (née dans la Préfecture de Saitama en 1982) travaillent ensemble depuis 2013. Basé à Beppu, le duo a quitté Tokyo en 2014, une décision prise à la suite du tremblement de terre de mars 2011. Diplômé en Art et Design de la Musashino Art University, Hisaji Hara a émigré aux États-Unis en 1993, avant de revenir sur sa terre natale en 2001. En 2009, il a gagné en attention avec la série After Balthus (A Photographic Portrayal of the Paintings of Balthus). Quant à Natsumi Hayashi, diplômée de l’université de Rikkyo, elle se fait remarquer en 2011 avec sa série d’autoportraits intitulée Today’s Levitation.

L’innocence, la bienveillance et l’altruisme

Pour Gazing Into the World, le duo a débuté en 2015 une série de photographies de plus de vingt jeunes filles originaires de l’île de Kyushu, où habitent les artistes. L’objectif est ici de capturer la manière dont l’innocence de la jeunesse, notamment pour les jeunes filles habitant dans ces régions, s’évapore au fil des années. Comment expliquer une certaine perte d’altruisme et de solidarité alors que leur approche non normée et genrée de la société s’évanouit ?

A contrario des stéréotypes liés à la jeunesse, Hisaji Hara et Natsumi Hayashi ont créé des séries au sein de la série. Les jeunes filles sont photographiées à plusieurs reprises, les faisant passer pour des jumelles ou des triplées. On peut ainsi les voir sur plusieurs clichés, dans des postures et attitudes différentes, laissant le spectateur interpréter les poses et les jeux des sujets. Les filles anonymes n’ont reçu aucune consigne et, avec pour toile de fond la ville de Beppu, ont été libres de choisir les mises en scène, leurs tenues. « Elles sont sympathiques envers les faibles, méprisent les mensonges et l’insincérité, montrent de l’affection pour tous, sans préjugés », s’émerveillent les photographes dans le cadre de la présentation de la série au Tokyo Photographic Art Museum en 2020.

Un changement inéluctable ?

Lorsque les jeunes filles jouent avec une arme, s’agit-il d’un jeu sans aucune arrière-pensée de violence, ou le signal d’un instant où l’innocence les quitte ? Les jeux de regard des modèles laissent le public libre d’interprétation. Sont-ils consciemment signifiants, marqués d’une intention de dégager un sentiment ? Pouvons-nous, une fois la réalité du monde intégrée, retrouver cet état ? La série interroge, laisse ce mystère ouvert.

Au Tokyo Photographic Art Museum, les artistes poursuivent : « Nous avons été frappés par l’harmonie entre les modèles et le décor. Les sujets, les filles, dégagent une lueur éblouissante lorsqu’elles sont autorisées à briller en leur état naturel, dans des environnements urbains et ruraux. » Un travail aux multiples facettes, qui peut être observé de manière détachée, ou ouvrir une réflexion plus large sur la jeunesse et les conséquences de l’avancée vers l’âge adulte.

Gazing Into the World se révèle être une parfaite association de la pratique des deux artistes. Natsumi Hayashi — qui travaille en solo sous le pseudonyme de yowayowa, que l’on peut traduire par « faible/fragile » —, réalise principalement des autoportraits en lévitation, tandis que Hisaji Hara s’exprime à travers des portraits de jeunes filles et des natures mortes.

Gazing Into The World (2020), une série de photographies par Hisaji Hara et Natsumi Hayashi à découvrir sur leur page Facebook.