Miyako Ishiuchi et sa mère, symboles de l’évolution de la société japonaise

Dans la série “Mother’s”, la photographe met en lumière l'histoire de sa mère, à travers son corps et ses effets personnels.

08.10.2020

TexteHenri Robert

“Mother's” © Met Museum

En 2002, deux ans après la disparition de sa mère, l’artiste Miyako Ishiuchi publie Mother’s, un recueil de photographies, témoignage personnel d’une vie tourmentée qui illustre l’évolution de la place de la femme dans la société japonaise contemporaine.

Née en 1947 dans la préfecture de Gunma, Miyako Ishiuchi grandit à Yokosuka, puis étudie au sein du département de Design de la Tama Art University — une formation qu’elle n’achève pas. Son travail est rapidement reconnu et l’artiste reçoit de nombreux prix prestigieux, tels le Kimura Ihei Prize, le Higashigawa Prize for Japanese Artists et le Hasselblad Foundation International Award in Photography. Ses œuvres font notamment partie des collections du Museum of Modern Art, du Met Museum ou du Yokohama Museum of Art.

 

Au delà de la sphère intime

La série Mother’s, composée d’une quarantaine de clichés — présentée au sein du pavillon du Japon à la Biennale de Venise 2005 —, a été entamée en 1999. Publiées dans un désir de réconciliation avec sa mère, les photographies débutent par des détails de son corps, de sa peau marquée par un accident de cuisine. Après sa disparition, l’artiste s’intéresse aux vêtements et effets personnels de sa mère, à son rouge à lèvres, sa lingerie, ses chaussures, ses prothèses dentaires ou sa brosse à cheveux. Face à cette série, une photographie de sa mère datant des années 1940.

Ces images, bien que très personnelles, et dont la dimension symbolique est propre à Miyako Ishiuchi, dépassent pourtant la sphère intime. Sa mère, née en 1916 dans la colonie japonaise de la Mandchourie, a eu une existence mouvementée sur le plan familial et professionnel. Elle conduit un camion de munitions pendant la guerre au Japon, puis apprend la disparition de son mari dans le cadre du conflit. Elle tombe ensuite enceinte d’un autre homme, avant que son premier mari ne réapparaisse soudainement… Elle divorce finalement une semaine avant la naissance de Miyako Ishiuchi.

Mia Fineman, Associate Curator au Department of Photographs du Met Museum, analyse sur le site de la collection de l’institution que « la série Mother’s évoque une intimité posthume dans laquelle les objets sont transformés en de puissants recueils de la chaleur humaine ».

Au fil d’une œuvre influencée par le travail de Shomei Tomatsu, Miyako Ishiuchi a notamment été commissionnée en 2013 par le Museo Frida Kahlo pour une série de photographies consacrée aux effets personnels de l’artiste mexicaine.

 

Mother’s (2002), un livre de photographies par Miyako Ishiuchi publié par l’éditeur Sokyu-sha.

“Mother’s” #3 [photograph] © Ishiuchi Miyako

“Mother’s” 25 March 1916 #53 [breast] © Ishiuchi Miyako

“Mother’s” #36 [lipstick] © Ishiuchi Miyako

“Mother’s” #19 [comb] © Ishiuchi Miyako

“Mother’s” #37 © Ishiuchi Miyako

“Mother’s” #68 © Ishiuchi Miyako

© Sokyu-sha