Transformer les sentiments en art visuel, la quarantaine selon Oscar Oiwa

Plus de sorties, plus de voyages. Assigné à résidence, l'artiste amorce une série de dessins qui retracent son quotidien en confinement.

01.12.2020

TexteMarie-Charlotte Burat

“Time Square” by Oscar Oiwa Studio. Image courtesy: © Oscar Oiwa Studio

Mars 2020, le verdict est tombé. Tous les habitants de New York sont invités à rester chez eux pour éviter la propagation du COVID-19. Décidé à transformer cette épreuve en ressource créative, Oscar Oiwa commence un journal de bord, Quarantine drawing, métamorphosant jour après jour ses sentiments en art visuel. Une virée imaginaire et introspective dessinée en noir et blanc où il convoque toutes ses cultures.

Né de parents japonais à São Paulo, Oscar Oiwa y est diplômé de l’École d’architecture et d’urbanisme en 1989. En 1991, il participe à la 21ème biennale de São Paulo puis part vivre 12 ans à Tokyo avant de s’établir à Manhattan où il réside depuis 18 ans. Chaque année, il retourne au moins un mois au Japon pour cultiver ses racines.

 

Plein phare sur les incohérences

Revenant dans sa série Quarantine drawing à l’expression la plus épurée de l’art, le dessin, Oscar Oiwa en repousse les limites via le digital. Le crayon et le papier deviennent un stylet et un pad, soulignant au passage l’importance du numérique et des écrans durant l’isolement. En noir et blanc, son univers aux allures post-apocalyptiques se déploie à chaque étape du confinement. Dans cette faune urbaine, les animaux évoluent au cœur d’une société nouvelle, entre métaphore et amplification.

Ici, des cerfs flânent au beau milieu de la 9ème avenue à New-York en quête de nourriture, et font tristement écho aux personnes sans abri, plus esseulées que jamais. Là, des pigeons se sont emparés de Times Square, face aux gigantesques panneaux lumineux publicitaires qui sont restés allumés. Un crabe incroyablement grand, tout droit venu d’Osaka, rend même hommage à la ville pour ses repas de rue pris sur le pouce. Dans ce contexte hors du temps, il est enfin possible de prendre un recul encore inédit sur nos conditions de vie habituelles. Aberrations écologiques, agroalimentaires, industrielles et capitalistes sont plus visibles que jamais. Le dessin est une manière d’expier ces contradictions, de les dénoncer publiquement autant que de mûrir personnellement.

 

Quotidien sans frontières

Lorsque Oscar Oiwa amorce sa série Quarantine drawing, ses différentes références culturelles viennent nourrir ses dessins avec leurs codes et leurs histoires. L’abondance alimentaire de nos jours est mise en parallèle avec la pénurie qui a suivi la Seconde Guerre mondiale qu’a vécue son père au Japon. La crise sociétale à venir est comparée à la Grande Dépression de 1930 aux États-Unis selon une photographie de Margaret Bourke-White. La gestion chaotique de l’épidémie au Brésil devient une réinterprétation funeste de l’œuvre Independence or Death de Pedro Américo en 1888 sur la proclamation de l’indépendance du Brésil.

« Malgré tout ce qui nous distingue, le monde fonctionne comme un. Nous sommes piégés dans notre petite planète […] et par conséquent, nous sommes tous, en tant qu’êtres humains, similaires à bien des égards. » L’individualisme prend fin à cette injonction que nous exprime l’artiste. Le sentiment qu’il a éprouvé durant la quarantaine peut s’élargir à bien d’autres : « si le public voit ces dessins à un moment donné, il identifiera son expérience à l’intérieur de ces œuvres », comme il l’avoue. Un discours fédérateur qui s’incarne dans son travail au fil des ans. En 2019, son exposition Rio, Tokyo, Paris : des villes et des jeux à la Maison de la Culture du Japon à Paris, présentait toute une série de dessins muraux des trois villes pour inviter au dialogue et interroger une fois encore, le monde d’aujourd’hui.

 

Quarantine drawing (2020), une série de Oscar Oiwa à retrouver sur son site internet.

“9th Avenue, New York” by Oscar Oiwa Studio. Image courtesy: © Oscar Oiwa Studio

“Takoyaki, Osaka” by Oscar Oiwa Studio. Image courtesy: © Oscar Oiwa Studio

“View from my window” and “Independência ou Morte” by Oscar Oiwa Studio. Image courtesy: © Oscar Oiwa Studio

“The Great Depression” by Oscar Oiwa Studio. Image courtesy: © Oscar Oiwa Studio

“My Desk by Oscar Oiwa Studio” Image courtesy: © Oscar Oiwa Studio