“Kitaro le repoussant”, plongée dans le monde des “yokai”

Ce manga de Shigeru Mizuki est fait de folklore et de fantômes, révélant un auteur hanté par les horreurs de la Seconde Guerre mondiale.

01.07.2021

TexteMiranda Remington

Avec l'aimable autorisation de Mizuki Pro / Drawn & Quarterly.

Les histoires de yokai et de fantômes sont depuis des siècles au cœur du folklore japonais, comme l’illustrent les célèbres gravures sur bois. Pourtant, lorsqu’on évoque aujourd’hui les yokai, ce sont les personnages de Kitaro le repoussant — une série de manga à la puissance intemporelle réalisée par Shigeru Mizuki dans les années 1960 —, qui viennent à l’esprit du public japonais.

Dans les aventures de Kitaro, Shigeru Mizuki s’appuie sur un récit mythologique qu’il connaît depuis son enfance, conté par une vieille dame qui s’occupait de lui, et dont l’influence a été décisive sur l’imagination de l’auteur. Kitaro est le survivant borgne d’une “tribu fantôme” vivant parmi d’autres étranges créatures — un homme-rat, une femme-chat, une bande de tissu blanc volante, ou encore les restes de son père, en l’occurrence son globe oculaire. À la tête d’une équipe de yokai dédiée à aider des humains, il est inscrit dans la conscience populaire comme un inébranlable défenseur de la paix entre les deux mondes.

Le manga a reçu nombre de récompenses, et a également été adapté à de multiples reprises en anime. Sa popularité est aujourd’hui comparable à celle d’un Disney, tandis que des routes et des musées sont consacrés à son créateur. Réécrivant le folklore à travers un univers métaphorique, il a offert la matière à partir de laquelle nombre d’autres productions ont été imaginées, dont Pokemon. Pour autant, ses origines liées à une expérience de vie marquée par la brutalité militaire sont moins connues.

 

Ghost Writer

Lorsque Kitaro a été publié pour la première fois en manga au siècle précédent, le récit était considéré comme trop affreux pour être présenté aux enfants. La naissance de Kitaro donne à voir par exemple les corps de ses parents en décomposition dans un univers obscène, avec un “réalisme grotesque” propre au manga d’horreur underground.

Shigeru Mizuki avait en fait écrit Kitaro peu de temps après sa conscription lors de la Seconde Guerre mondiale, une époque où le folklore traditionnel était considéré comme des « superstitions », et réprimé. Lors des heures les plus sombres de l’histoire japonaise Shigeru Mizuki, qui était un pacifiste assumé, avait eu à affronter nombre d’épreuves douloureuses. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, il assiste à la mort de ses compagnons, contracte la malaria, et perd son bras gauche, l’obligeant à ré-apprendre le dessin de la main droite. Les événements de la guerre l’ont amené à écrire également des pièces historiques, relatant ses propres expériences dans Opération mort (1973), ou à illustrer une biographie d’Hitler. Kitaro, qui est destiné à un jeune public, et plus globalement les yokai, ont été une manière pour l’auteur d’échapper à ses traumatismes.

Auteur de manga, historien et philosophe, Shigeru Mizuki était maître dans l’interprétation de l’inconnu. Avec Kitaro, il clame que la paix est l’affaire de tous, humains ou fantômes. L’auteur s’appuie sur ses propres expériences pour formuler une critique d’une violence absurde. La mythologie est ici utilisée afin d’examiner les fondements de la culture japonaise, et interroger ses lecteurs contemporains.

Le décès de Shigeru Mizuki en 2015 a marqué la perte d’un grand critique et du dernier manga-artiste japonais survivant de la guerre. Mais, à travers son esprit, son folklore demeure immortel.

 

Longtemps inconnue hors du Japon, l’œuvre de Shigeru Mizuki est désormais diffusée en Occident, traduite et publiée entre autres par la maison d’édition Cornelius, qui présente les meilleures histoires de Kitaro le repoussant.

Avec l'aimable autorisation de Mizuki Pro / Drawn & Quarterly.

Avec l'aimable autorisation de Mizuki Pro / Drawn & Quarterly.

Avec l'aimable autorisation de Mizuki Pro / Drawn & Quarterly.

Avec l'aimable autorisation de Mizuki Pro / Drawn & Quarterly.

Avec l'aimable autorisation de Mizuki Pro / Drawn & Quarterly.

Avec l'aimable autorisation de Mizuki Pro / Drawn & Quarterly.

Avec l'aimable autorisation de Mizuki Pro / Drawn & Quarterly.