Récits d’une fascination japonaise pour le chat
Sous la direction de Sophie Cavaliero, “Neko Project” réunit 85 photographes, et autant d'histoires et rapports différents au félin.

© Kumiko Motoki
« Assise sur mes genoux, Chiro aimait que je lui lise Je suis un chat de Natsume Soseki. On pouvait être sûr que Chiro était une fille à sa façon de s’arrêter de faire pipi lorsque j’essayais de la photographier dans la salle de bain. Elle détestait ça. Quand Yoko était à l’hôpital, Chiro attendait à mes côtés son retour. Il n’y avait plus que nous deux en train de regarder le soleil couchant. » Ces mots issus d’Itoshino Chiro Chiro, My Love de Nobuyoshi Araki ne sont qu’un exemple parmi d’autres de la place singulière qu’occupe le chat dans la société japonaise.
Du maneki-neko à Hello Kitty, du livre Le Chat, son maître et ses deux maîtresses de Junichiro Tanizaki aux chats du studio Ghibli, il est partout. Ce constat a fait naître le Neko Project — neko signifiant chat en japonais — un appel à projets dédié à « une série de photographies très personnelles sur le thème du chat, tout en gardant un langage photographique, un style et une technique personnels. » En juin 2019, un ouvrage publié par Iki éditions présente les 85 projets.
Lancé à l’initiative de Sophie Cavaliero, auteure venant du monde de l’entreprise et des ressources humaines et passionnée d’art contemporain japonais, l’initiative interroge la place des chats dans l’environnement quotidien des Japonais.
Métaphorique, fantôme ou démon
« À sa façon, chaque photographe fait le portrait de chats, une facette de la vie, un moment spécial de notre existence. Ils sont là face à l’objectif nous questionnant et nous renvoyant à nos propres contradictions et croyances », explique Sophie Cavaliero à Pen.
Dans Neko Project, l’idée n’est pas de compiler des clichés de chats, mignons, atypiques, à la manière du célèbre “Grumpy Cat”, mais d’utiliser ces chats pour en faire la base d’un récit, d’une histoire. Ainsi, comme l’explique Junro Okumura pour accompagner sa série dédiée au quartier de Shitamachi à Tokyo — l’un des rares lieux où les chats ne voient pas leur territoire urbain disparaitre —, « dans ce quartier, les chats et les hommes sont des partenaires importants. Dans les gravures de la période Edo réalisées après le XVIIème siècle, on peut dire sans exagérer que la silhouette des chats a toujours fait partie du décor de ces œuvres d’art. »
« On retrouve au Japon, comme le démontrent les photographes qui ont participé au Neko Project, cette idée d’indépendance, de liberté qui fascine les Japonais. Ils sont impressionnés par cette capacité des chats à ne pas prêter attention aux regards des autres. Ce qui m’a interpellé également dans leurs photos est l’appellation du chat de dedans et le chat du dehors… une séparation très symbolique au Japon et le jeu entre ces deux notions qui peuvent être métaphoriques (dans la société ou hors de la société par exemple) », poursuit Sophie Cavaliero.
Parmi les photographes, citons Mika Horie, dont les clichés drôles et sensibles ont la particularité d’être produits sur du papier gampi — réalisé après de longues escapades en montagne afin de récupérer la plante nécessaire à sa fabrication. Quant à Akiko Koshinuma, elle choisit d’axer son travail sur la nature sauvage du chat, souvent oubliée. Dans sa série, Kumiko Motoki présente des portraits d’un chat habillé d’œuvres ukiyo-e, jouant des scènes du quotidien de l’époque Edo, pour un résultat poétique. Autre travail présenté dans Neko Project, la série Tsuru no ongaeshi de Iku Kageyama— dont le nom est inspiré d’un conte japonais populaire —, amène l’artiste à mettre en scène une femme en kimono, dans un projet visant également à soutenir les victimes du tremblement de terre et tsunami de 2011. Ici, le modèle semble, au fil des clichés, adopter l’attitude et les postures du félin.
Au-delà du portrait de chat traditionnel, l’idée est ici de souligner que « le chat est également un animal de territoire ce qui correspond à la façon de vivre de beaucoup de Japonais, et il inspire également la peur dans la culture japonaise… Il peut être fantôme ou démon mais pas au sens vraiment du chat noir de nos sorcières. Il est le Nekomata », explique Sophie Cavaliero. Une vision qui correspond au projet de Tatsuya Ozawa, qui décide de suivre les chats dans de mystérieuses déambulations nocturnes dans les temples, dans un environnement où seules les structures des bâtiments et les brillantes pupilles des chats émergent.
Neko Project (2019), un ouvrage de photographies collectives édité par Iki éditions dont les séries peuvent être retrouvées sur le site internet du Neko Project.

© Junro Okumura

© Mika Horie

© Akiko Koshinuma

© Iku Kageyama

© Tatsuya Ozawa
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