Hidefumi Yoshida, professeur de larmes
Noémie Nakai suit dans son court métrage “Tears Teacher” cet homme qui encourage les Japonais à pleurer pour libérer leurs émotions.

© “Tears Teacher” - Noemie Nakai, 2021 Sundance Film Festival
« Avez-vous pleuré récemment ? ». Voilà la question, apparemment candide et anodine, que pose Hidefumi Yoshida en introduction de ses ateliers. Il rassemble, aux quatre coins du Japon, des hommes et des femmes qui souhaitent libérer leurs émotions dans un espace sûr, exempt de tout jugement. Ce sont ces ateliers que Noémie Nakai a documenté dans un court-métrage réalisé en 2020, Tears Teacher. Dix petites minutes qui réussissent pourtant à immerger le spectateur dans des bulles d’émotions intenses, sans voyeurisme ni pesanteur.
Noémie Nakai est une actrice et réalisatrice franco-japonaise. Elle étudie le droit puis le cinéma au Japon, avant de s’installer en Angleterre. Elle réalise en 2017 son premier court-métrage de fiction The Last Dream, avant de se tourner vers le court-métrage documentaire en 2019 avec Touch, qui explore le deuil. Tears Teacher a été notamment remarqué et primé par le New York Times qui le diffuse dans sa catégorie Op Doc, une sélection pointue de courts films documentaires.
Consentir à la vulnérabilité
C’est alors qu’elle fait des recherches pour un long métrage que Noémie Nakai tombe sur un article sur le rui-katsu, ces personnes qui en paient d’autres pour essuyer leurs pleurs. Elle décide alors d’enquêter sur ce sujet et découvre Hidefumi Yoshida, un professeur adepte des thérapies par les larmes depuis 2015. « Je travaille normalement dans le domaine de la fiction, j’ai trouvé cela tellement hallucinant et excentrique que j’ai décidé d’écrire un personnage en m’inspirant de lui. Mais ça n’a pas marché : son travail était difficile à croire, comme s’il sortait tout droit de Black Mirror. C’est alors que j’ai réalisé que je devais plutôt faire un documentaire », explique la réalisatrice à Pen.
Le spectateur assiste donc à ces réunions où hommes et femmes pleurent à chaudes larmes dès lors que le professeur leur montre des vidéos d’animaux, de sport ou de moments en famille, et les encourage à coucher sur le papier de manière anonyme, une chose qui les a stressés récemment. Une vulnérabilité consentie, pourtant incongrue dans l’archipel où la société ne tolère que trop peu les débordements émotionnels, notamment chez les hommes. Une mise sous cloche des sensations qui, pour Hidefumi Yoshida, ne peut être que nocive. Il est d’ailleurs certain que pleurer renforce le système immunitaire.
Tears Teacher a été sélectionné dans la catégorie court-métrages documentaires du Festival Sundance 2021. Noémie Nakai travaille actuellement sur Tokyo Vice, une série télévisée pour HBO Max dirigée par Michael Mann, et prévoit de tourner son premier long métrage de fiction, Nana’s blues, qui mettra en scène l’histoire d’une grand-mère criminelle sortant de prison, prête à tout pour revoir ses amies encore derrière les barreaux.
Tears Teacher (2020), un court-métrage de Noémie Nakai, disponible en streaming sur le site du New York Times.

© “Tears Teacher” - Noemie Nakai, 2021 Sundance Film Festival

© “Tears Teacher” - Noemie Nakai, 2021 Sundance Film Festival

© “Tears Teacher” - Noemie Nakai, 2021 Sundance Film Festival

© Noemie Nakai, 2021 Sundance Film Festival
LES PLUS POPULAIRES
-
Aux origines du Mingei, le mouvement pour les arts populaires japonais
À l'occasion du centenaire de sa création, retour sur une pensée qui a marqué l'histoire de l'art japonais.
-
Du néo-pop à l’art conceptuel, le succès des artistes contemporains japonais en France
Portées par un “japonisme contemporain”, les oeuvres de Takeru Amano, EXCALIBUR ou encore Daijiro Hama ont trouvé leur public.
-
Contempler la lune lors d'“o-tsukimi”
Lors de l’équinoxe d’automne, les Japonais se réunissent pour célébrer “o-tsukimi”, la fête de l’observation de la lune.
-
Terry Ellis et Keiko Kitamura redéfinissent l’esprit du Mingei contemporain
Les fondateurs de la boutique MOGI Folk Art intègrent l'artisanat Mingei dans le quotidien en l’adaptant aux exigences d'aujourd'hui.
-
La revue “Provoke” bouscule les codes de la photographie
Editée entre 1968 et 1969 pour seulement trois numéros, cette publication entend traduire en images l’onde de choc qui secoue alors le pays.