La vitalité du cinéma japonais contemporain se déploie dans toute la France

La 17e édition du festival Kinotayo programme des films modernes, tendres et aux récits nécessaires visibles en région jusqu’au 31 janvier.

11.01.2024

TexteRebecca Zissmann

© 2023「Tsugaru Lacquer Girl」film partners

L’édition 2023 du festival Kinotayo du cinéma japonais contemporain s’est déroulée avec succès en décembre à Paris. L’équipe s’est félicitée d’une fréquentation en hausse et de l’engagement de sa communauté sur les réseaux sociaux. Un engouement largement mérité et qui s’explique par la qualité de sa programmation, qui se prolonge d’année en année. Une programmation à retrouver en région puisque les films en compétition sont projetés à Lyon, Strasbourg, Montargis, Marly, Saint-Malo, Cannes et Grasse jusqu’à la fin du mois de janvier 2024.

Les longs-métrages sélectionnés et primés lors de cette 17e édition de Kinotayo se caractérisent par leur mise en avant de personnages féminins puissants et complexes et par leurs scénarios bien ficelés qui lient les trajectoires de leurs protagonistes à des thématiques sociales majeures du Japon d’hier et d’aujourd’hui. Passage en revue de certains films, dont on espère à terme une sortie en salles en France.

“No Place to Go” — Quand l’injustice et les inégalités donnent envie de tout faire sauter

© 2022 「NO PLACE TO GO」Film Partners

Lorsque la pandémie de COVID-19 frappe le Japon, ce sont les plus précaires qui trinquent. En l’occurrence ici Michiko, femme célibataire de quarante ans, qui perd travail et appartement dans le sillon des mesures d’urgence décrétées par le gouvernement.

Réalisé par Banmei Takahashi, réalisateur qui a fait ses débuts dans le cinéma pink auprès de Koji Wakamatsu, il n’est pas étonnant que ce film comprenne une dimension politique abordée frontalement. No Place to Go nous plonge dans un univers rarement exploré dans le cinéma grand public, celui des sans-abris. Dépeignant les inégalités criantes de la société japonaise, le récit ne se contente pas dans faire l’inventaire mais dote ses personnages d’une rare volonté politique et de rébellion contre le système et la société. Un long-métrage jubilatoire porté par un casting cinq étoiles (Yuka Iataya, Akira Emoto, Reiko Kataoka, Mariko Tsutsui).

“Tea Friends” — Les seniors aiment aussi

© “Tea Friends” Film Partners 2022

Une jeune femme, Mana, propose un service d’escorts qui ont toutes la particularité d’être des femmes âgées. Des dames de compagnie sollicitées pour « venir boire le thé » par des retraités, autour desquelles tout un petit groupe d’exclus de la société va se former. Ce récit tendre et original dessine en creux l’épidémie de solitude et l’invisibilisation des personnes passé un certain âge. Un chef d’œuvre qui aborde l’un des angles morts de nos communautés, récompensé par le Grand Prix de la 17e édition du festival Kinotayo.

« Je voudrais que l’on voit ce film en France comme une histoire d’amour et de famille, comme une histoire humaine et pas que comme un film social ». Il s’agit du troisième long-métrage de Bunji Sotoyama dont le premier film traitait déjà du grand âge et de la recherche d’un dernier partenaire. Un mois avant la sortie du film en question, il prend connaissance du fait divers qui inspirera Tea Friends, à la seule différence qu’en réalité les rencontres étaient orchestrées par un homme de 70 ans. En délaissant délibérément les plans fixes, classiques du cinéma japonais, au profit d’une caméra embarquée, il fait le choix de retranscrire le malaise de ses personnages. Un réalisateur à suivre.

“Tsugaru Lacquer Girl” — Transmettre, tout un art

© 2023「Tsugaru Lacquer Girl」film partners

Miyako épaule son père au sein de l’entreprise familiale de laque de Tsugaru. Pourtant, c’est à son grand frère qu’il souhaite confier les rênes à sa retraite, lequel refuse. Ce récit, à première vue assez classique, prend vite un tournant surprenant et inattendu. Le génie de la réalisatrice a été de laisser s’épanouir des thématiques d’une grande modernité au sein d’un cadre conditionné par la tradition. Sans oublier toute la magnificence de l’artisanat de la laque qui se déploie sur des images sensuelles où la matière aux couleurs éclatantes, notamment le rouge, est manipulée avec soin.

Keiko Tsuruoka a étudié le cinéma auprès de Kiyoshi Kurosawa aux Beaux-Arts de Tokyo. Pendant l’écriture du scénario, elle dit avoir échangé avec les artisans de Tsugaru et compris que pour réaliser un seul objet il fallait passer par plusieurs phases. Laquer et puis polir presque la moitié de ce que l’on avait laqué. Un processus similaire à celui d’un film qui l’a poussée à prendre le temps de retranscrire cet art au plus juste. Tsugaru Lacquer Girl a reçu le Soleil d’Or de la 17e édition de Kinotayo, un prix qui reflète le choix du public du festival.

“Father of the Milky Way Railroad” — Rester fidèle à soi-même, malgré la pression sociale

© 2022 "Father of the Milky Way Railroad" FILM PARTNERS

Ce biopic retrace la vie de l’un des poètes et écrivains les plus appréciés du Japon, Kenji Miyazawa. L’intrigue se déroule de la fin du XIXe au début du XXe siècle dans une région pauvre du département d’Iwate. L’écrivain refuse, par conscience politique, de prendre la suite de son père dans son activité de prêteur sur gages. Il est l’aîné mais aspire à une carrière littéraire. Bien qu’il s’agisse d’un film de divertissement grand public, le sujet est fidèlement retranscrit et le scénario traversé par des enjeux sociaux délicats, surtout pour l’époque. Comment appréhender la folie ? Que deviennent ceux qui s’opposent à un destin qui leur est imposé ? Rien n’était joué pour Kenji Miyazawa dont la vie a été marquée par le chagrin et qui n’a pas connu le succès de son vivant, bien qu’il ait été reconnu pour ses talents d’agronome.

Izuru Narushima, scénariste et réalisateur dont le film Rebirth a été primé en 2011 par l’Académie japonaise, en signe la réalisation. De nombreux acteurs populaires y crèvent l’écran comme Kōji Yakusho dans le rôle du père de Kenji Miyazawa et Masaki Suda dans le rôle titre. Father of the Milky Way Railroad a remporté le Prix du Jury de la 17e edition du festival Kinotayo.

 

Le festival Kinotayo est un projet associatif qu’il est désormais possible de soutenir. La 18e édition fera son retour à l’automne 2024.

Les lauréats et l'équipe du Festival Kinotayo © Philippe Henriot