Le quotidien des SDF tokyoïtes

L’écrivaine Yu Miri aborde dans “Sortie parc, gare d’Ueno” la vie de ceux dont l’existence est encore taboue au Japon.

20.01.2021

TexteClémence Leleu

© Katsumi Omori

Du narrateur, le lecteur ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’il est né en 1933, qu’il est originaire de la région du Tohoku au nord du Japon et qu’après une vie de dur labeur en tant que salaryman et le décès de sa femme, il est venu se perdre dans l’anonymat de la plus grande mégalopole du monde. Plus particulièrement dans le parc d’Ueno, poumon vert de la capitale et quartier qui fait office de porte d’entrée à Tokyo pour les habitants du nord de l’archipel.

Le vieil homme est venu grossir les rangs des sans domicile fixe qui ont installé leur abri de fortune, fait de planches, tôles et bâches bleues, dans les recoins du parc. Il livre, au fil des pages, des bribes de son quotidien. Des journées rythmées par le flot des promeneurs, sportifs et touristes qui se délassent dans les allées bordées de cerisiers ou d’érables. Avec parfois, quelques incursions dans la gare toute proche, histoire de venir se confronter à ce qu’était sa vie une poignée d’années plus tôt, alors qu’il faisait partie des travailleurs qui s’entassent dans le métro aux heures de pointe, chemisette blanche, pantalon noir sur le dos et mallette en cuir à la main. 

 

Une présence indésirable

Yu Miri met en exergue ce quotidien fait aussi de ruses et de petites combines pour pouvoir se nourrir. Déjouer l’attention des policiers dont les rondes sont de plus en plus rapprochées et qui l’obligent à anéantir son baraquement et à fuir jusqu’au soir venu. Car à Tokyo, les sans-abri dérangent, lorsque la famille impériale vient se divertir au musée, mais aussi à l’approche de grands événements sportifs internationaux comme les Jeux olympiques ou la Coupe du monde de rugby. 

Une vie sur le fil, où les souvenirs sont aussi le meilleur remède à l’âpreté de celle-ci. Le narrateur nous emmène régulièrement à rebours du présent : son mariage et la naissance de son fils, son enfance dans un Japon rural et reculé, sa peur intestine de ne pas être capable de subvenir aux besoins de sa famille… Sortie parc, gare d’Ueno est un roman rude mais poétique, qui lève le voile sur la vie de ceux auxquels la société japonaise n’accorde que peu de place, même aux confins de ses parcs. 

 

Sortie parc, gare d’Ueno (2015), un roman de Yu Miri, publié chez Actes Sud