Kiyoshi Kurosawa abandonne le quotidien au profit du bout du monde
Une jeune journaliste japonaise, vêtue d’une combinaison imperméable orange néon, patauge dans le lac Aydar en Ouzbékistan. Bien loin de chez elle et de la routine, elle est en quête d’un poisson mythique, le « bramul ».
Si la dimension fantastique reste perceptible dans « Au bout du monde », le dernier long-métrage de Kiyoshi Kurosawa, c’est la psyché de ses personnages qu’il se charge plutôt d’ausculter. Yoko, la reporter, peine à boucler avec son équipe le tournage d’une émission de tourisme sur l’Ouzbékistan. Rien ne se déroule comme prévu, du poisson légendaire, qu’ils échouent à pêcher dans la scène d’ouverture, au restaurant dont la cuisine est fermée.
« Je voulais réaliser un film où, pour une fois, du début à la fin, le personnage ne soit pas dans son quotidien, », explique Kurosawa lors de l’avant-première du film à Paris début septembre. « Je souhaitais qu’il soit plongé dans un univers qu’il ne connait pas et qu’il traverse des épreuves pénibles tout en arrivant à les surmonter et à avancer ».
Le malaise et le stress des personnages, qui craignent de revenir de leur séjour bredouilles, s’accentuent alors que les minutes défilent. Yoko, noyée dans une ville dont la langue et la culture lui demeurent étrangères, se livre à une course effrénée à travers la nuit. Jusqu’à une révélation incongrue face à une chèvre attachée dans un enclos. Car c’est cela la préoccupation sous-jacente du film : la quête de liberté.
Yoko, brillamment interprétée par l’actrice Atsuko Maeda, est une reporter malheureuse mais aussi une jeune fiancée, qui profite des moments de répit dans ses chambres d’hôtel pour s’enquérir par sms de son amoureux resté à Tokyo. Alors qu’elle se prépare à la vie d’épouse, souvent lourde de conséquences professionnelles pour les femmes japonaises, d’anciens désirs la taraudent. Ne serait-elle pas destinée au chant ?
Indépendance et amour se heurtent et finissent par fusionner pour n’en rendre le personnage que plus fort. Notamment lors d’une magistrale scène de clôture où Yoko interprète l’hymne à l’amour en japonais (Ai no Sanka).
« J’adore ce morceau que je trouve formidable dans ses paroles, où l’on trouve une force qui est inimaginable au Japon », confie Kurosawa aux spectateurs parisiens, en ajoutant qu’il craignait la réaction du public français face à la reprise du classique en langue japonaise. « Quand on décrit l’amour au Japon, c’est souvent de manière romantique ou sentimentale mais ici, on est dans l’idée d’aimer dans un désir de libération et d’acquérir de la force. Parce que le fait d’aimer nous donne de la force et de la liberté, cela donne de la valeur à l’amour ».
La quête d’indépendance et de liberté, qui ne peuvent s’acquérir qu’en se confrontant à l’autre – ici le peuple Ouzbek, pourtant « pas si différent de nous Japonais » comme le dit le réalisateur – nous emmène dans des régions inexplorées du cinéma de Kurosawa. Qui affirme que « Au bout du monde » serait son film le plus accompli. Enfin, jusqu’au prochain, déjà en tournage cet automne dans son pays natal.
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