“La Prostituée”, impuissance crasse
Dans cette nouvelle, l’écrivain Yoshiki Hayama dépeint la rencontre d’un marin et d’une femme asservie qu’il réalise ne pas pouvoir sauver.
© Éditions Allia
Le récit est mené du point de vue d’un jeune matelot, en état d’ébriété, errant dans le port de Yokohama. Il se fait aborder par trois hommes qui le poussent à rendre visite à une prostituée, le dépouillant du peu d’argent qui lui reste. Méfiant quant à leurs intentions, le marin cède peu à peu à la panique et à une angoisse de mort.
Yoshiki Hayama écrit La Prostituée alors qu’il est incarcéré en 1923 pour son engagement syndical. Ce fils d’un ancien samouraï, originaire de Fukuoka, a grandi dans un foyer modeste, sans pouvoir financer d’études supérieures. Il fait donc lui-même l’expérience de métiers variés, d’ouvrier à journaliste en passant par marin, comme le protagoniste de la nouvelle.
La Prostituée paraît en novembre 1925 dans la revue Bungei Sensen (“Le Front des arts littéraires”) que l’écrivain rejoint l’année suivante. Yoshiki Hayama est un auteur majeur de la littérature prolétarienne japonaise, célébré pour son roman Ceux qui vivent en mer, et influencera d’autres plumes comme Takiji Kobayashi.
Un texte censuré
Profondément dérangeante, cette nouvelle révèle le dénuement et la violence qui caractérisent la condition des classes populaires japonaises au début du XXème siècle. L’immondice s’y ressent jusque dans le langage, avec l’emploi de multiples variations du vocabulaire de la saleté. Certaines parties du texte ont même été censurées, notamment celles ayant trait aux parties intimes de la prostituée.
La description de cette dernière a tout ce qu’il y a de plus révoltant. Rongé par la maladie, son corps est assimilé à un cadavre. Le protagoniste en est d’abord dégoûté avant d’en être outré et de vouloir l’aider. « Mais sauver les gens, est-ce que c’est faisable ? »
Des apparences trompeuses
Dans sa faiblesse extrême, la jeune femme reste maîtresse de ses choix. D’apparence exploitée par le gang de malfrats — « les prostituées sont légalement privées de leur droit de résister », comme le dit le narrateur — elle est en réalité la seule à même d’amener un maigre revenu au groupe composé d’autres malades. Une forme de solidarité entre miséreux, tous opprimés et anéantis par le travail.
Comme beaucoup d’autres intellectuels de cette période, Yoshiki Hayama opère un revirement idéologique dans les années 1930 (un phénomène appelé tenko) et rallie le nationalisme, exalté peu après par l’occupation japonaise de la Chine et la mise en place de l’Etat du Mandchoukouo. L’auteur s’y installe comme colon en 1944-1945 et y meurt le 18 octobre 1945 d’une hémorragie cérébrale, alors qu’il opérait un retour vers le Japon après la défaite de son pays.
La Prostituée (2021), une nouvelle de Yoshiki Hayama parue aux éditions Allia.
© Éditions Allia
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