Les matriochkas russes sont originaires du Japon
©Laetitia Hébert
Souvenir russe par excellence, les célèbres matriochkas sont si indéniablement liées à la Russie que leur véritable origine a été oubliée. Les poupées sont en réalité japonaises et se nomment kokeshi.
Un industriel russe notoire, Savva Mamontov, rapporta d’une de ses pérégrinations dans l’archipel japonais, à la fin des années 1890, l’une des sept divinités du bonheur. Selon la tradition japonaise, les sept divinités arrivent en ville pour la nouvelle année et distribuent des présents aux personnes méritantes. Inspiré par la figurine, le peintre Serguei Malioutine s’empara de ses pinceaux pour créer une version russe en dépeignant non pas une divinité, mais le visage rassurant d’une paysanne renfermant sa progéniture jusqu’au nouveau né. Surnommée matriochka, un dérivé du prénom féminin russe Matriona évoquant l’image d’une campagnarde rustre et robuste, la poupée conquit en un rien de temps le coeur des Russes et surtout des enfants.
©Cha già José
Au-delà de son statut de jouet, la matriochka servait aussi à inculquer, dès le plus jeune âge, l’habileté manuelle et les premiers éléments de calcul, tout en distillant une conscience familiale à travers la figure protectrice de la mère. La toute première poupée russe modelée en 1890 remporta même la médaille de bronze à la Grande Exposition Universelle de Paris en 1900, pour ses traits innocents et la qualité de sa fabrication.
La poupée gigogne puise pourtant bel et bien ses origines au Japon et illustre un savoir-faire traditionnel indéniable qui fascine Laetitia Hébert. Découvrant les kokeshi au cours de cinq années de vie au Japon, elle décide d’ouvrir, en 2017, folkeshi.com, une boutique de vente de poupées exclusivement japonaises pour “soutenir les artisans japonais et leur offrir une visibilité à l’étranger pour qu’ils puissent poursuivre, de manière durable, leur activité”, explique-t-elle.
Si le terme kokeshi en hiragana n’est pas porteur de sens, son interprétation plus récente en kanji associe les termes de ko pour “enfant” et keshi pour “supprimer”, formant la notion de “faire disparaître l’enfant”. Néanmoins, comme l’ajoute Laetitia Hébert, “les auteurs japonais écrivant sur les kokeshi ont tous mis de côté ce lien à l’infanticide, car les documents qui soutiennent cette idée datent tous d’après la seconde guerre mondiale, soit 130 ans après l’apparition des premières kokeshi, et font référence à des sources fictionnelles”.
©Laetitia Hébert
Originellement des jouets pour les filles, les kokeshi sont également devenues des objets de décoration et continuent d’être fabriquées selon la même méthode, toujours de la main d’un maître. Après avoir choisi un bois brut de cerisier, poirier ou érable selon la localité, l’artisan retire l’écorce de l’arbre et la fait sécher de une à cinq années. Le bois est ensuite découpé en tronçons puis les deux pièces constituant la poupée, l’une pour la tête et l’autre pour le corps, sont poncées, peintes, assemblées et cirées avant le geste final, la signature de l’artiste sur la poupée, gage d’un savoir-faire unique en son genre.
Ce travail minutieux était autrefois étroitement lié à sa zone de production d’origine, le Tohoku, une région rurale du nord du Japon, “encore perçue comme l’incarnation d’un Japon perdu”, spécifie Laetitia Hébert. Aujourd’hui, les kokeshi évoquent plutôt le travail d’un artisan aux doigts d’or mais témoignent également d’un héritage en voie de disparition. Au moment d’écrire ces lignes, seuls 180 artisans s’évertuent encore à poursuivre leur activité, même si la plupart d’entre eux ont dépassé les 65 ans d’âge. “Les rares jeunes qui prolongent la tradition le font par fierté familiale et par conviction que les kokeshi doivent continuer d’exister”, indique Laetitia Hébert qui continue, sans relâche, à exporter les poupées japonaises aux quatre coins du globe et à épauler un artisanat dont la flamme pourtant vacille et risque de s’éteindre à jamais.
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