“L’usine”, la fabrique du vide
Dans ce roman, Hiroko Oyamada questionne l’aliénation dans le travail et son corollaire insidieux : une vie dénuée de sens.
© Christian Bourgois éditeur
De L’usine, il faut d’abord poser le décor : un complexe industriel gigantesque dont les bâtiments sont bordés par la montagne, un fleuve et l’océan. Une ville dans la ville, traversée par une route nationale et capable de fonctionner en autarcie : entre ses frontières se trouvent restaurants, boutiques et même un sanctuaire shinto. Et une carence, comme le souligne l’auteure dans l’ouvrage « la seule chose qui manque, c’est un cimetière ».
Les protagonistes maintenant. Imaginés par la romancière Hiroko Oyamada, ils sont au nombre de trois : une femme qui enchaine les démissions et qui se voit attribuer un poste qui l’oblige à déchiqueter à longueur de journée des documents, un biologiste expert des mousses et un employé au service des corrections. S’ils travaillent tous pour l’usine, ils sont bien incapables de savoir ce que produit cette mégastructure. Et ils ne sont pas les seuls. Si les habitants du coin, qui sont la première source de main d’oeuvre de l’établissement, connaissent tous quelqu’un, dans leur famille, leur voisinage ou leurs amis, qui travaillent pour l’usine ou un de ses clients, aucun ne sait vraiment ce qu’il s’y trame.
Un travail absurde
Dans ce roman, Hiroko Oyamada questionne l’aliénation au travail, quand on en vient à perdre le sel de sa vie pour la gagner, quand le quotidien n’est plus rythmé que par l’enchaînement de tâches absurdes dont, pour éviter de tout envoyer valser, on arrête d’en questionner le bien fondé. Une perte de sens dans le quotidien des héros, accentuée par un habile jeu d’écriture de l’auteure qui brouille les repères des lecteurs en faisant des ponts avec le passé, chamboulant la narration et la syntaxe. L’espace temps se dilue, et bientôt la faune environnante de l’usine grignote de plus en plus d’espace sans que l’on s’en rende tout à fait compte. Le lecteur aurait-il finalement lui aussi baissé la garde, cessé de questionner le sens de sa lecture ? La réponse se niche dans les dernières pages.
Hiroko Oyamada est une romancière japonaise née en 1983. L’usine est son premier ouvrage traduit en français. Elle a été lauréate en 2014 d’un des plus prestigieux prix du Japon, le prix Akutagawa, qui a récompensé son roman Ana. Un prix qui avait été remis deux ans plus tard à Sayaka Murata, auteure de Konbini.
L’usine (2021), un roman de Hiroko Oyamada publié par Christian Bourgeois Éditeur.
LES PLUS POPULAIRES
-
Pieces of Japan, l’artisanat d’exception à portée de tous
Cette boutique fait vivre les métiers d’art japonais à travers une sélection d’objets traditionnels remis au goût du jour et des formations.
-
Namio Harukawa, maître du dessin SM
“Garden of Domina” offre une plongée dans l’univers d'une icône de l'“oshiri”, dont l’œuvre a aujourd’hui atteint le monde entier.
-
Une maison compacte sans cloisons intérieures
Dans la F-House, située au nord d'Osaka, les pièces ne sont pas délimitées par des murs mais par des rideaux qui laissent entrer la lumière.
-
Une série de yakuza entre Londres et Tokyo
Cette série policière coproduite par la BBC et Netflix, suit un inspecteur à la recherche de son frère, responsable d’une guerre de gangs.
-
COMME des GARÇONS, la mode déconstruite de Rei Kawakubo
Erigée en opposition aux normes esthétiques occidentales la marque bouscule les notions de beauté, de genre et de corps.