“Sudden Fictions” de Bo Ningen

Chaque morceau de Sudden Fictions, —  quatrième album de l’énigmatique groupe japonais de noise-rock Bo Ningen, dévoilé en juin 2020 par le label Alcopop! — invite à découvrir de nouveaux territoires. Alors que le groupe est déjà connu sur la scène internationale pour ses performances live exaltées, Sudden Fictions incorpore de nouveaux éléments, et se distingue des précédentes productions.

Inspiré par le réalisme magique de la littérature de Jorges Luis Borges, Sudden Fictions est conçu comme un exercice conceptuel. Ici, le groupe réinvente les chronologies de la musique rock, et se confronte à ses propres limites. Parfois minimalistes, parfois chaotiques et toujours d’une beauté saisissante — dépassant la démonstration de maîtrise instrumentale —, leurs paysages sonores relient des fragments de différentes influences, afin de produire des fictions temporaires. Fort de plus d’une décennie de production et de tournées, le groupe arrive avec cet album à réinventer la diversité de cultures musicales rencontrées au cours de sa carrière. Il explore une temporalité s’évadant du réel et se permet, dans sa démarche artistique, d’affronter son propre environnement.

La catharsis du Heavy Rock

Tous originaires de différentes préfectures du Japon, les membres de Bo Ningen ont commencé à travailler ensemble au sein des Hackney Road Studios — des moments marqués par de longues sessions de travail de 12 heures, façonnant un style d’instrumentation assourdissant, des riffs incroyablement compliqués et un chaos nourri d’effets. Au-delà de l’allure et du style singulier des quatre artistes — de leurs longs cheveux noirs et leurs robes —, c’est à travers ses incroyables performances que le groupe a conquis le public. Sa musique est marquée par l’ésotérisme propre à l’histoire du psych-rock au Japon, un héritage underground dont font partie des groupes tels que Les Rallizes Denudes et Flower Travellin’ Band, ou des figures comme Boredom’s EYE ou Damo Suzuki de CAN.

Le groupe est habitué à surprendre à travers ses nombreux projets : de l’interprétation en direct de la bande originale du film The Holy Mountain d’Alejandro Jodorowsky à ses collaborations avec des producteurs japonais tels que Foodman, en passant par des spin-offs nous plongeant dans l’univers du rap japonais ou encore une émission de radio sur NTS qui met en avant des bizarreries musicales.

Au regard de cette approche stylistique perméable, Sudden Fictions associe à sa manière divers périodes de l’Histoire. Le premier morceau, “You Make a Mark like a Calf Branding” se compose de paroles chantées de manière déconstruite, en rafales dissonantes, et d’une guitare monochromatique et un synthé analogique. “Silenced” oscille entre des vers folk rêveurs et des refrains métalliques, qui éclatent dans une cacophonie dans “Zankoku”. Dans une collaboration qui rend hommage aux influences du dub sur la culture rock britannique, le cinquième titre “Minimal” met en scène Bobby Gillespie de Primal Scream : le résultat est aussi éthéré que lourd.

Sudden Fictions aborde notamment, à travers un groupe de rock, la complexité de l’Histoire ; c’est une mise en lumière du rapport entre l’identité et l’héritage que l’on porte. Dans le communiqué de presse, le guitariste Kohhei Matsuda explique en ces mots cette démarche : « S’il est possible de trouver une racine à l’histoire de la musique, et que cette racine mène jusqu’à un présent où les groupes de rock sont rejetés, nous avons pensé que nous pourrions creuser assez profondément, jusqu’à la racine, et ré-écrire le présent. » Un avenir inconnu se dessine pour tous.

Sudden Fictions (2020), un album de Bo Ningen diffusé par le label Alcopop! Records. Davantage d’informations sur les prochaines tournées et projets de Bo Ningen sont disponibles sur son site officiel.

Une vidéo expérimentale de “Minimal feat. Bobby Gillespie” produite par l’artiste vidéo italo-australienne Rebecca Salvadori est à découvrir ci-dessous.