L’orchestre liquide de Toru Takemitsu
À l’occasion des 25 ans de la disparition du grand compositeur japonais, l’album ‘Takemitsu: 1982 Historic Recordings’ offre une immersion dans un live de l’artiste.
‘Toru Takemitsu: 1982 Historic Recordings’ (2021). Courtesy of Deutsche Grammophon.
Dans ‘A Way Alone’ and ‘Dreamtime’ les sons produits par l’Orchestre symphonique de Sapporo ne visent qu’à soutenir le tempo. Les cordes, les flûtes et les harpes s’éloignent et reviennent dans « Towards the Sea », s’arrêtant pour laisser place à des silences sombres. Guidé par Toru Takemitsu, le plus célèbre des compositeurs japonais — reconnu pour avoir remis en question les certitudes de la musique classique occidentale —, le public fait face aux flots de douces vagues.
25 ans après la disparition du compositeur, en 1996, Takemitsu: 1982 Historic Recordings, édité par Deutsche Grammophon présente un enregistrement complet inédit d’un concert donné le 27 juin 1982. Cet événement légendaire, mené par le célèbre orchestre et conduit par Hiroyuki Iwaki, permet de revenir sur un moment clé de la carrière de Toru Takemitsu. L’album comprend ainsi le discours majeur prononcé à l’occasion par Toru Takemitsu, dans lequel il définit la philosophie qui porte sa musique, et ce à travers des allégories avec l’eau. Il explique alors qu’à la manière des nombreux courants qui se cachent au sein de chaque lac ou océan, la nature totale de la musique — son ensemble de flux nés d’influences puisées à travers le monde — renferme une fluidité, secrète, impalpable.
Écouter la beauté de l’impermanence
Compositeur autodidacte et écrivain, Toru Takemitsu bénéficie d’une renommée internationale. L’artiste a construit une esthétique basée sur des ponts entre éléments orientaux et occidentaux. Il associe également des tonalités propres à la musique classique à des genres traditionnels comme le gagaku, en insufflant à ces structures établies la philosophie orientale et en y intégrant des éléments dits de « silence. » Toru Takemitsu est également reconnu pour avoir réalisé plus de 100 bandes originales de films en quatre décennies — dont Woman in the Dunes (1964) de Hiroshi Teshigahara, Empire of Passion (1978) de Nagisa Oshima ou Ran (1985) de Akira Kurosawa.
Dès le début de sa carrière dans les années 1950, Toru Takemitsu partage les ambitions d’une avant-garde artistique internationale qui, dans le contexte de l’après-guerre, ambitionne de briser les cadres culturels établis. Membre fondateur du collectif d’artistes d’avant-garde japonais Jikken Kobo, il développe une vision basée sur des expérimentations sonores — y compris en électro-acoustique, en parallèle du travail autour de la musique concrète de Pierre Schaffeur. Influencé par la philosophie interculturelle du compositeur Fluxus John Cage, Toru Takemitsu explique que c’est après que le silence ait lui-même été considéré comme une structure sonore à part entière qu’un univers infini de sons a pénétré sa musique.
Quand il a été question de définir métaphoriquement sa vision de la musique, Toru Takemitsu l’a résumée par une « impermanence brumeuse ». Chaque son, qu’il soit répété à de multiples reprises ou non, possède ses propres qualités distinctes, complexes, qui sont liées à l’instant où il est entendu. Marqué par le jour où il a appris que les oiseaux ne chantent jamais deux fois le même chant, Toru Takemitsu nous rappelle que la beauté fondamentale du son réside dans son caractère éphémère.
Takemitsu: 1982 Historic Recordings est disponible via Deutsche Grammophon. Une sélection de sa discographie est présentée ci-dessous.
Portrait of Toru Takemitsu. Courtesy of KINOSHITA Akira Archives / Deutsche Grammophon.
‘Miniatur II : Art Of Toru Takemitsu.’ (1973) Courtesy of Deutsche Grammophon.
‘Miniatur III Art Of Toru Takemitsu.’ (1972-1973).
‘Minatur V:Art of Toru Takemitsu.’ (1975) Courtesy of Deutsche Grammophon.
‘In an Autumn Garden for Gagaku.’ (1975) Courtesy of Deutsche Grammophon.
‘Quatrain / A Flock Descends Into The Pentagonal Garden.’ (1980) Courtesy of Deutsche Grammophon.
‘Quotation of Dream.’ (1991) Coutesy of Deutsche Grammophon.
‘I Hear The Water Dreaming.’ (2000) Courtesy of Deutsche Grammophon.
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