À la rencontre du mode de vie atayal dans le village de Bulau Bulau à Taïwan
Entre pédagogie alternative, artisanat et autonomie alimentaire, un village de montagne explore d’autres manières de vivre.

Il pleut environ 200 jours par an. Par le passé, des typhons ont arraché les toits. Les toitures actuelles ont été repensées pour canaliser le vent horizontalement, tandis que les plantes installées sur le toit offrent de la fraîcheur en dessous.
À l’écart des grandes villes comme Taipei ou Tainan, certains villages abritent les cultures autochtones de Taïwan. Un voyage dans ces régions reculées permet de renouer avec des savoirs anciens et des modes de vie préservés, pour appréhender l’histoire taïwanaise autrement que par les livres : en l’observant, en la touchant.
Situé dans la région montagneuse près du village de Hanhsi, à quelque 400 mètres d’altitude, le hameau de Bulau Bulau se niche dans les hauteurs du comté de Yilan, au nord-est de l’île. Depuis Taipei, il faut compter environ une heure de route ou de bus pour rejoindre cette zone, puis poursuivre jusqu’au cœur de la montagne. C’est ici qu’habite une communauté issue du peuple atayal, l’un des seize groupes autochtones officiellement reconnus à Taïwan. Le lieu accueille désormais un nombre restreint de visiteurs dans le cadre d’un circuit d’une journée, unique en son genre, pour découvrir le mode de vie atayal. Le programme, si prisé qu’il affiche souvent complet, propose une immersion sobre et attentive dans un quotidien ancestral, entre nature, artisanat et cuisine.
Entre savoirs traditionnels atayals et aménagement contemporain
Le nom du village, Bulau Bulau, signifie « promenade » en langue atayale. Fondé en 2003 par sept familles ayant choisi de réinvestir cette terre montagneuse, le lieu a été modelé au fil du temps : sentiers tracés à la main, maisons construites avec soin, potagers organisés selon les cycles naturels. Parmi les membres fondateurs figuraient Hu Ai-ling, une Atayale reconnue pour ses talents culinaires, ainsi que le couple d’architectes Pan Chin-sheng, spécialistes d’aménagement paysager. De cette rencontre est née une alliance entre les savoirs traditionnels atayals et une vision contemporaine de l’aménagement, qui a façonné à la fois le paysage singulier du village et l’ossature du circuit d’une journée proposé aujourd’hui.
Le village est organisé en deux zones distinctes : l’une résidentielle, l’autre dédiée à la culture vivrière. Aujourd’hui, une quarantaine de personnes y vivent en autonomie sous la direction de Kwali, le fils du couple fondateur, tout en accueillant des visiteurs cinq jours par semaine pour un circuit d’une journée. Par souci de préserver l’écosystème environnant, l’accès est limité à 30 personnes par jour. Depuis le point de rendez-vous situé en contrebas de la montagne, les visiteurs sont conduits jusqu’au village à bord de jeeps. À leur arrivée les attend un repas complet, préparé à partir de produits locaux. Le tout est accompagné de xiaomijiu, un vin trouble de millet traditionnellement offert aux invités lors des célébrations atayales.
Entre les plats, les visiteurs découvrent les pièges artisanaux utilisés par les Atayals pour la chasse, explorent les ateliers de teinture végétale et de tissage transmis de génération en génération par les femmes du village, ou encore les paniers en rotin tressés par les hommes. Il est possible, si l’on le souhaite, d’acquérir sur place certains de ces objets.
Autrefois, les habitants vendaient leurs légumes ou leurs shiitakés cultivés sur bûches à des hôtels et restaurants des grandes villes. Mais la communauté a fait un autre choix : plutôt que de se plier à la logique de la concurrence des prix, elle a préféré inviter les voyageurs à venir découvrir ces produits sur place, au moment de leur récolte. Une manière de redonner du sens à l’hospitalité, loin d’un folklore fabriqué pour le tourisme : ici, c’est la vie quotidienne qui se partage.
Un lycée alternatif pour enseigner la culture locale aux futures générations
Le village de Bulau Bulau repose sur un fonctionnement remarquablement durable. L’une des figures clés de ce système est Kwali, né à Taïwan, parti vivre en Australie à l’âge de 13 ans, puis revenu dans son pays natal pour effectuer son service militaire après des études universitaires.
Pendant ses années d’études à la Brigham Young University, il travaille également au Polynesian Cultural Center de Hawaï, une expérience qui le marquera durablement. En 2015, il fonde dans le village un lycée alternatif agréé par le gouvernement — une première pour une école portée par une communauté autochtone de Taïwan. Baptisé The Root Vocational School, l’établissement propose une pédagogie enracinée dans la culture locale tout en s’ouvrant sur le monde.
Les enfants du village intègrent l’école à l’âge de 15 ans, à l’issue de leur scolarité obligatoire. Dès leur entrée, ils partagent leur temps entre les cours et un travail au sein de l’un des quatre pôles selon leurs compétences et affinités : agriculture, artisanat, restauration ou construction. La première année est consacrée aux apprentissages fondamentaux, notamment linguistiques ; la deuxième permet d’explorer des spécialisations ; et la troisième, avant l’obtention du diplôme à 18 ans, inclut un long stage hors du village. Car l’un des principes de Bulau Bulau est clair : pour mieux revenir, il faut d’abord partir et élargir ses horizons.
C’est ainsi qu’est né le produit phare du village ces dernières années : un champagne de millet, fruit de l’expérimentation menée par une jeune femme de la communauté, formée à la fermentation au Japon et à l’étranger. Son initiative a inspiré d’autres jeunes, qui envisagent à leur tour de revenir pour créer.
À Bulau Bulau, la tradition ne se fige pas : elle se transforme, s’adapte et s’invente au présent. Le lieu offre ainsi une autre manière d’envisager les liens entre vie et travail. Aucune agence de voyage ne propose de s’y rendre : seuls les visiteurs ayant réservé directement peuvent y accéder. Mais pour qui choisit d’y aller, le voyage est riche de sens — et souvent inoubliable.
Village Bulau Bulau
Un circuit d’une journée pour découvrir le mode de vie atayal. La visite comprend un accompagnement par un guide attitré, un déjeuner complet et des boissons. Une option végétarienne est disponible.
Le tour est réservé aux personnes de 16 ans et plus. Il peut être annulé en cas de pluie.
Pour une réservation, il est conseillé de s’y prendre trois mois à l’avance en semaine, et plus de six mois à l’avance pour un jour férié ou un samedi.
Adresse : No. 5, Hanxi Lane, Hanxi Village, Datong Township, Comté de Yilan, Taïwan
Téléphone : +8869-1909-0061
Horaires : de 10h à 16h30 (du mardi au samedi).
Tarif : 3 200 TWD par personne.
www.bulaubulau.com
Poules en liberté. Après avoir utilisé les bûches pour la culture des shiitakés, celles-ci sont broyées et dispersées dans le poulailler, où elles se mêlent aux déjections des volailles pour fertiliser les champs — une sagesse atayale profondément durable.

Zone du feu de camp. La viande issue de la chasse est fumée ici, un procédé de conservation longue durée avant stockage.

La teinture végétale est une tradition atayale. Les fils et les pigments proviennent des plantes du village. La technique, transmise de génération en génération, garantit une excellente tenue des couleurs.

Kwali, l’actuel chef du village, maîtrise l'atayal, le mandarin taïwanais et l’anglais. Il a notamment donné deux conférences TED sur le tourisme et l’éducation, apportant un regard neuf à ces secteurs à Taïwan.

Les légumes de saison fraîchement récoltés dans le village, accompagnés d’épices locales comme le maqaw et le tana, sont aussi un plaisir pour les yeux. Fidèles à la tradition atayale, les plats sont cuisinés sans friture ni huile.

La préparation des tables avance tranquillement. Leur élégance visuelle est un héritage de Hu Ai-ling, cuisinière atayale du village.

Zhao Ting, troisième chef cuisinier. Après un apprentissage dans un restaurant japonais à Taipei, il est revenu à Bulau Bulau où il a été nommé chef à 28 ans. Il tient ici le plat principal : un ragoût de viande de chèvre.

Le “alïh”, un vin de millet élaboré selon la méthode champenoise, a été servi au restaurant étoilé RAW et y a rencontré un vif succès. Son arôme puissant envahit le palais, avec une finale rafraîchissante. Il se vend à 2 200 TWD la bouteille.

Outre le ragoût de chèvre, le plat principal peut aussi être un poulet bambou grillé — une variété locale de caille sauvage — accompagné de légumes fraîchement cueillis.

Atelier de teinture végétale et de vannerie. L’espace ouvert invite à travailler en harmonie avec la nature. Une visite est possible.

Lieu où la grand-mère de 90 ans de Kwali tisse chaque matin. Le tabouret utilisé pour rassembler les fils à l’envers a une présence presque sculpturale.

Le tissage est principalement l’apanage des femmes. Elles commencent en réfléchissant au design et aux couleurs. Les hommes, selon la tradition, ne doivent pas toucher les tissus et utilisent un arc pour tisser.

Chaque housse de coussin, entièrement réalisée à la main, est unique. À partir de 3 500 TWD.

Panier en rotin (4 000 TWD, sur réservation) inspiré des outils de chasse traditionnels, modernisés (photo en arrière-plan à gauche).
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