Mont Yoshino, La montagne enchantée aux 3000 cerisiers

Les 3 Monts Sacrés du Kansai #03

08.03.2019

TexteBenoit Piquet PhotographiesCédric Riveau

Du mont Yoshino nous sommes revenus avec des souvenirs de rencontres, des visages plein la tête. C’est d’abord Madame Kato et sa fille, la douceur de leurs gestes, leurs sourires comme des offrandes, leur gentillesse tout simplement. Les Kato tiennent un ryokan ; c’est simple, c’est le premier dans la partie basse de la ville. Il s’appelle Ryokan Kato, sans grande surprise, et c’est un lieu qui suffirait à vous faire aimer le Japon si ce n’était déjà fait. Non pas d’ailleurs qu’il y règne le moindre luxe, les larges fauteuils dans l’entrée par exemple doivent plus leur patine au temps qui passe et à l’usure qu’à quelconque vintage de magazine, mais pourtant qu’est-ce que l’on s’y sent bien ! Idem pour les chambres, parfaites pour ce qu’elles sont, ni plus ni moins. Il y eut ensuite cette jeune employée, lycéenne nous-a-t-elle dit, venue nous servir notre dîner, sa jeunesse un peu timide et en même temps l’espèce d’assurance qu’elle dégageait, pas sûr qu’à son âge on en aurait fait autant. Rencontre aussi avec ce chasseur, quelques heures plus tôt, avec ses deux chiens. Notre surprise en l’écoutant nous raconter qu’il avait participé au tournage de films de Naomi Kawase. Mais oui, bien sûr, nous sommes à Yoshinocho dans la préfecture de Nara, pas si loin sans doute des ruelles de Shara et des paysages de montagne de son premier film, Moe no Suzaku. Des rencontres il y en eut d’autres encore et jusque dans le train du retour sur la ligne Kintetsu, comme celle, incroyable, avec Monsieur Sato, ancien policier devenu prêtre en chef du célèbre sanctuaire shinto Yoshimizu, qui nous raconte quelque part entre Yoshino et Kyoto son parcours hors du commun, et le choc que fut pour lui le grand séisme de Kobe en 1995.

Montagne sacrée comme l’est également le Mont Koya, le Mont Yoshino dispose d’un atout unique, semblable à aucun autre : ses coteaux sont couverts de cerisiers, pas moins de 3000 nous dit-on, qui ont été offerts par des fidèles. À l’arrivée du printemps, le spectacle est inouï, il draine ses cohortes de touristes, pour l’essentiel japonais, quelques étrangers aussi, venus s’enivrer de beauté devant un spectacle à couper le souffle. La montée se fait en trois étapes qui sont autant de points de vue sur les cerisiers en fleurs, « Shimo-sembon » pour le bas, « Naka-senbon » pour la partie centrale et « Kami-sembon » pour la partie supérieure, sans oublier « Oku-sembon », à l’intérieur des terres. Depuis Osaka, il faut compter un peu moins d’une heure et demie par train express, sur les lignes Kintetsu. Les plus chanceux auront la chance de monter àbord de la « Blue symphony », rien moins qu’une sorte de mini Orient-Express version locale, sans wagons-lits certes mais avec un wagon-lounge où l’on sert des pâtisseries et des en-cas. Qu’importe, le spectacle est ailleurs, dans la variété des paysages, chaotique et urbain pour les premiers kilomètres, plus varié ensuite lorsqu’apparaissent par-delà les vastes fenêtres les premiers signes de végétation, des rizières le plus souvent, complétées au second plan de reliefs plus ou moins élevés, comme un signe avant-coureur du spectacle qui nous attend.

Classé au patrimoine mondial de l’Unesco au titre des sites sacrés et chemins de pèlerinage dans les monts Kii, Yoshino est aussi un haut lieu religieux et les temples et sanctuaires y sont nombreux, tous ou presque centenaires quand ce n’est pas millénaire. Le Kimpusen-ji est certainement le plus connu de tous, remarquable à la fois par ses dimensions hors-normes et par ses piliers recouverts de feuilles d’or. La légende raconte que c’est Hideyoshi Toyotomi, l’une des grandes figures de l’histoire du Japon, qui en fit don au temple pour faire écho à la beauté des cerisiers en fleurs. Le temple a été fondé au 8ème siècle par En no Gyoja, un anachorète japonais connu pour être le père du Shugendo, littéralement « le chemin de la formation et de l’essai », davantage un rapport au monde, avec les pratiques qui l’accompagnent et qu’incarnent les fameux Yamabushi, qu’une religion au sens propre. Là où le Mont Koya incarne l’esprit du shingon, cette branche du bouddhisme fondée par Kukai, le Mont Yoshino se veut lui plus œcuménique, à la croisée du shintoïsme, du bouddhisme et de cultes demystiques montagnards plus anciens encore. Depuis le chemin en contrebas, le Kimpusen-jise dresse, impressionnant par ses volumes et l’impression de solennité qu’il dégage. Au petit matin, à l’heure où les prêtres commencent leur office, le tsutome, le spectacle est fascinant. Mais déjà le train nous attend, direction la dernière étape de ce voyage : le mont Hiei.