Précieuse Afrique
Sous la direction artistique de la photographe Nagi Yoshida
Un jour, assise devant son poste de télévision, Nagi Yoshida se sentit captivée par les images. L’objet de sa fascination, une émission sur les Maassaïs. La majesté émanant de leurs regards, leurs couleurs si intenses, leur art comme leur environnement annoncèrent pour elle la passion d’une vie, et le début d’une belle aventure photographique.
©Nagi Yoshida
Corps nus, cœurs à nus
Quel a été le déclencheur de l’obsession de Yoshida pour la culture africaine? Comment communique-t-elle avec les habitants? Qu’aspire-t-elle à immortaliser, à travers son objectif?
©Nagi Yoshida
L’Afrique m’a attirée pour la première fois le jour où j’ai vu les Massaïs à la télévision. J’avais cinq ans. Ce n’est qu’un peu plus tard que j’ai compris que ces gens étaient des Massaïs. Ils portaient des vêtements bleus et des colliers. J’étais sidérée, comme hypnotisée. C’est cette forte impression qui a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui.
Jusqu’à mes dix ans je n’ai vécu, littéralement, que pour les Massaïs. J’étais intimement convaincue qu’un jour je deviendrais comme eux. Bizarrement, j’étais persuadée que tout le monde possédait une sorte de bouton ayant pour fonction d’assombrir la peau. Mes parents ont reçu un choc le jour où je leur ai demandé dans combien de temps ma peau allait changer de couleur. Ils m’ont alors répondu que malgré tous mes efforts, contrairement à moi, les Massaïs, eux, étaient Africains. J’étais si bouleversée par cette première désillusion que mon corps se mit à trembler.
Une fois calmée, je me suis dit : peut-être que je ne peux pas devenir africaine, mais ça ne m’empêche pas de les rencontrer. Les réactions autour de moi furent pour le moins glaciales. Je constatai avec désarroi que mon intérêt pour l’Afrique et les Africains embarrassait souvent mon entourage. Et quand je m’aventurais à dire : « les Africains sont cool », les gens qui ne l’entendaient pas ainsi se mettaient à dénigrer mes héros. Ceux qui en savaient le moins sur eux étaient les plus prompts à la critique. Ma frustration grandissait, et avec elle ma détermination : il fallait que je fasse quelque chose. J’ai continué à en parler, mais il m’a fallu plus de dix ans pour passer à l’action. À vingt-trois ans, je suis partie pour l’Afrique. C’était en 2009. Je travaillais en tant qu’illustratrice depuis deux ans et j’en avais fait le tour. Il était temps de passer à autre chose, et je sentais monter en moi l’appel de l’Afrique. Je me suis donc rendue dans une agence de voyage spécialisée dans les destinations africaines et j’ai jeté mon dévolu sur l’Ethiopie. Avec le recul, je suis heureuse que cet endroit ait été le premier que j’ai visité.
Par contre, mon guide de voyage étant originaire du pays, je ne prenais pas trop de risque. Je ne parlais même pas Anglais à l’époque. Les quelques mots que j’arrivais à bredouiller étaient, « Comment allez-vous ? » et « Très bien, merci. » Le guide parut choqué quand il comprit qu’il avait sur les bras une cliente parfaitement incapable de communiquer avec lui. Mais c’était quelqu’un de formidable, et il fit de son mieux pour s’exprimer avec des gestes. À chaque nouvelle rencontre, j’étais traitée avec une grande attention, ce qui rendit le voyage d’autant plus marquant. Ces personnes dont j’avais tant rêvé prenaient maintenant soin de moi. C’était un peu comme fréquenter des stars hollywoodiennes.
©Nagi Yoshida
Durant ces deux semaines en Ethiopie, j’ai eu un aperçu de cinq différentes ethnies, mais nos échanges – pas très inspirants – tenaient plutôt du business. Moi je les photographiais, et eux ils posaient. Et c’était tout. Ma frustration était à la mesure de mon incapacité à leur témoigner mon admiration et mon désir de les connaître. Aux alentours de 2011, j’ai commencé à mieux organiser mes voyages en Afrique, ce qui m’a permis d’y aller plus souvent et sur de plus longues périodes. Et puis, en 2012, j’ai commencé à retirer mes vêtements.
Les Komas, qui peuplent les collines, vivent quasiment nus. Quand ils s’adonnent à leurs danses au son des musiques festives, ils disposent des feuilles sur leurs parties génitales. Je me rappelle avoir informé mon interprète, deux années plus tôt, que je comptais me dévêtir ; il a pensé que c’était une blague. Les Komas m’autorisèrent alors à prendre quelques photos. Mais sur le moment, comme j’étais gênée, j’ai gardé quelques vêtements.
Une fois dévêtue, l’atmosphère était tout autre. Les Komas se sont montrés plus confiants et m’ont laissé entendre, à travers l’interprète, qu’ils n’avaient jamais rencontré d’étrangère comme moi. Ils avaient conscience que pour des gens qui ont coutume de couvrir leur corps, il est difficile de se déshabiller en public. Ils compatissaient pleinement. D’ailleurs, dans chaque culture ethnique africaine, j’ai pu observer exactement la même réaction. En un sens, le fait de retirer mes vêtements me donne accès à leur cercle privé, et peu à peu les regards pleins de réticence se changent en sourires. En Namibie, je m’exprime par des actions plutôt que par des mots, et j’essaie de m’adapter au jour le jour.
Jusqu’ici, j’ai visité dix-sept pays sur les cinquante-quatre qui constituent l’Afrique, et je continue à faire des photos avec toujours la même une passion sans doute parce que j’ai le sentiment que ma passion a été brimée durant mon enfance. Je veux que les gens, en regardant mes photos, puissent voir ce que j’ai trouvé en Afrique et auprès des Africains. Trop de gens ont des Africains une image misérable. Il y a une célèbre photo qui a remporté le prix Pulitzer et qui dépeint une jeune fille affamée auprès d’un rapace. Je cherche à créer un contrepoint à ce type d’images, et donc à donner à voir la richesse que je perçois dans l’Afrique, et à défendre ses ethnies.
L’Afrique est le berceau de différents groupes et territoires. J’entends passer le reste de ma vie à interagir avec chacun d’entre eux, à travers mon travail.
Magnificence des Bororos
Yoshida a demandé à certains membres de la communauté des Bororos de se rendre sur un décor proche de Niamey, la capitale du Niger, dans le but de les inscrire dans un cadre bien précis : une voie ferrée perdue en plein désert.
Les hommes Bororos se disputent le titre de beauté lors du festival de Gerewol. L’ethnie nomade Bororo se déplace avec son bétail, qui l’accompagne d’un pâturage à l’autre. ©Nagi Yoshida
Cette photo a été réalisée dans une zone du désert située à vingt kilomètres de la ville de Niamey. Les Bororos, qui résident pour la plupart en Afrique du Nord, ont parcouru près de mille cent kilomètres pour cette séance photos avec nous. ©Nagi Yoshida
Comme les Bororos traversent des contrées où aucun train ne passe, Yoshida a souhaité ici juxtaposer la culture ethnique à un objet fabriqué par la main de l’homme. ©Nagi Yoshida
Afin de séduire les femmes lors du Gerewol, chaque homme passe quarante-cinq minutes à peindre son visage en jaune. ©Nagi Yoshida
Si les femmes de l’ethnie Bororo peuvent paraître timides, c’est surtout lié à leur appartenance à une société patriarcale. Néanmoins, la singularité de leur beauté ne peut passer inaperçue.
Chapeaux de paille, turbans et coiffes avec ornements de perles, glaives. ©Nagi Yoshida
Nagi Yoshida
Yoshida est une photographe autodidacte ayant effectué de nombreux voyages en Afrique depuis 2009. Son objectif s’est tourné vers les cultures ethniques les plus difficiles d’accès, dont elle cherche à saisir la beauté, la rareté, les coutumes et les récits. Parmi ses récompenses figure celle attribuée par Nikkei Business – Les cent personnalités de la nouvelle génération - reçue en 2017, ainsi que le Prix Culturel de Kodansha Press, obtenu la même année. Les créations de Yoshida n’en finissent pas de ravir et de surprendre le monde.
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