“WADAKO – Histoires de cerfs-volants japonais”

Le travail de Cecile Laly et la photographe Mami Kiyoshi invite à découvrir les derniers artisans d'une pratique qui date du VIIIème siècle.

20.12.2021

TexteHenri Robert

L'ono-shō-tako-ten

Association des termes dako (cerf-volant) et wa (japonais), le titre de la série WADAKO – Histoires de cerfs-volants japonais permet de découvrir les acteurs de cette discipline qui occupe une place à part dans la société nipponne.

Photographe formée à la Musashino Art University et régulièrement exposée en France, Mami Kiyoshi immortalise, dans cette série réalisée en 2018, des fabricants et leur entourage dans leurs ateliers. Ces hommes et femmes passionnés ne sont aujourd’hui qu’une quinzaine contre plusieurs centaines au début du siècle dernier, et sont dévoués à préserver une pratique et les codes qui lui sont associés.

 

Immortaliser un patrimoine familial et territorial en péril

Au Japon, le cerf-volant est ancré dans des territoires, des identités. Ainsi, comme l’explique le texte associé à la série, le terme tako qui signifie « poulpe » est utilisé à Tokyo pour désigner l’objet, tandis qu’à Kyoto on lui préfère celui d’ika, qui renvoie au « calmar ». L’apparition de cet aérodyne remonterait au VIIIème siècle — il aurait été importé depuis les îles d’Asie du sud-est en passant par la Chine et la Corée. Son âge d’or est pourtant plus récent, et se situe entre la période d’Edo (1603-1868) et la première moitié du XXème siècle.

Comme l’explique Cecile Laly dans l’ouvrage Du ciel au musée. Activités des amateurs de cerfs-volants dans le Japon des années 1960-70, la Seconde Guerre mondiale marque un tournant. À cette période « le washi, ou papier japonais, matériau nécessaire à la fabrication des cerfs-volants, était plus difficile à trouver. » Par ailleurs, certains fabricants et fournisseurs durent participer à l’effort de guerre ou combattre en personne. Après la guerre, la société japonaise vit une profonde évolution, synonyme d’occidentalisation des loisirs, tandis que l’urbanisation limite également la pratique de cette activité.

 

Des oeuvres d’art que s’approprient les familles

La série WADAKO – Histoires de cerfs-volants japonais présente des rencontres avec les artisans, dévoile leurs histoires personnelles, plonge dans leurs intimités. À Hamamatsu, dans la préfecture de Shizuoka, ville où est organisé un important festival de cerf-volant qui célèbre la naissance des enfants, le public découvre un père et un fils à l’œuvre. Ici, « les familles commandent des cerfs-volants à l’effigie de leur quartier, puis le nom de leur enfant est apposé en bas à gauche et l’emblème de la famille en haut à droite. Dans l’Atelier Itō-san-chi-no-tako-kōbō est fabriqué un cerf-volant intitulé yoko-ten ».

Tradition basée sur un partage intergénérationnel, le cerf-volant est construit à partir de papier et de bambou, tout en dépassant la simple dimension artisanale de par l’iconographie qui lui est associée. « Il arrive même que, reconnaissant la haute qualité de ces décors, des personnes achètent uniquement la peinture de cerf-volant (sans l’ossature) afin de l’accrocher au mur, comme une peinture ou une estampe. »

 

Portraits d’artisans

À Kita-Kyushu, dans la préfecture de Fukuoka, les clichés permettent de découvrir l’univers de l’atelier Magoji, mené par Yoshihiro Takeuchi et sa fille Azusa. L’entreprise fut fondée par le grand-père de ce premier. Cet atelier a la particularité de voir son organisation demeurer identique au fil des générations qui s’y sont succédé, à savoir un homme en charge du bambou et de l’armature, et une femme qui s’adonne à la peinture des décors. Parmi tous les motifs réalisés, la mascotte de l’atelier Magoji est la cigale.

Autre portrait, celui de Takashi Ono dans son atelier, l’Ono-shō-tako-ten, situé à Edogawa-ku, dans la préfecture de Tokyo. Ici l’héritage familial apparaît à travers les couteaux posés au premier plan sur la table. Le grand-père de Takashi Ono, Shoji Ono, a grandi dans une famille travaillant dans la production de katsuobushi (une préparation de bonite), et utilisait ces couteaux à lame incurvée pour graver les planches de bois servant à imprimer en série le décor de ses cerfs-volants.

À travers WADAKO, Cecile Laly et Mami Kiyoshi associent recherche, documentaire, photographie, et rendent hommage à ces personnalités, immortalisant leurs récits et pratiques éternels.

Parmi les différents projets menés par Mami Kiyoshi, la série New Readings Portraits entamée en 2003, dresse le portrait d’une société et témoigne de sa diversité au fil de récits de personnes répondant à des annonces postées sur Internet ou diffusées via des affiches.

 

WADAKO – Histoires de cerfs-volants japonais (2018), une série de photographies par Mami Kiyoshi à retrouver sur son site internet.

Cerfs-volants du Japon – À la croisée des arts (2021), un ouvrage sous la direction de Cecile Laly publié par les Nouvelles éditions Scala.

Atelier Itō-san-chi-no-tako-kōbō

Takeuchi Yoshihiro et Tatsuishi Azusa, Magoji kite house