Deux ans dans la vie de Nobuyoshi Araki

Dans “Shi Nikki (Private diary) for Robert Frank”, le photographe dévoile son quotidien en 101 clichés en noir et blanc, de 1992 à 1993.

07.03.2022

TexteVictoire Dufay

© Victoire Dufay - ARAKI “Shi Nikki ( Private Diary)”, Bourse de Commerce

Dans cette série de clichés, c’est une période particulière de la vie de l’artiste qui est dépeinte : endeuillé par le décès de sa femme, Nobuyoshi Araki explore des facettes rares et sombres de sa personnalité et son quotidien.

Visible du 8 décembre 2021 au 14 mars 2022 à la Bourse de Commerce de Paris, l’exposition Shi Nikki (Private diary) for Robert Frank prend la forme d’images non légendées, sobrement accrochées dans des cadres noirs en une longue ligne tout autour de la salle. Les dates de prises de vue apparaissent directement sur les clichés, et l’exposition se termine par une photo noire. Parmi les sujets : des femmes érotisées, des fleurs, des ciels et les rues de Tokyo. Dans une signature sur le mur à l’entrée de l’exposition, l’artiste dédie la série au photographe suisse naturalisé américain, Robert Frank.

Nobuyoshi Araki est né en 1940 à Tokyo, et se passionne très tôt pour l’image et la photographie. Ses thématiques phares sont les prostituées, les clubs et les rues de Tokyo, et son ton mi-réaliste, mi-artistique, a toujours défrayé la chronique, lui permettant de se hisser, au fil des décennies, au rang de photographe majeur du XXème siècle.

 

Des photographes mi-artistes mi re-reporters

Nobuyoshi Araki et Robert Frank (1924-2019) se connaissaient. Malgré l’écart générationnel, la différence de cultures et de lieux d’exercice, les deux artistes se font écho dans leurs thématiques et leurs manières de procéder. Ils ont parfois été comparés et associés, dans le cadre d’expositions ou de ventes multi-artistes à travers le monde.

Brut, peu policé ; leur travail vise autant à documenter le quotidien, la réalité des habitants ordinaires comme des marginaux que leurs propres parcours, à la manière d’un journal intime : l’un au Japon, l’autre aux États-Unis. Robert Frank ouvrait la voie en 1958, avec la sortie de son livre Les Américains, dont l’introduction était signée Jack Kerouac. Si la critique de l’époque a pu qualifier son travail de « triste » et « pervers », il fait partie de ceux qui ont ouvert la voie au “New Journalism”, mouvement créatif entre reportage et fiction, qualificatifs qui décrivent également le travail de Nobuyoshi Araki.

 

Des hommes unis dans le deuil

Lorsque l’épouse du photographe japonais, Yoko Aoki, décède en 1990, il perd sa plus grande muse et l’amour de sa vie. Malgré une apparente légèreté de mœurs, Nobuyoshi Araki a toujours clamé une véritable adoration pour sa femme, qu’il a représentée sur de très nombreux clichés. Brisé par le deuil, le photographe réalise dans les années qui suivent des clichés teintés par la morosité et la solitude.

Il photographie de manière obsessionnelle le chat de Yoko, l’intérieur de sa maison, des fleurs ou des petits dinosaures en plastique qu’il décrit comme ses compagnons. Ce drame est aussi celui de la vie de l’artiste américain, endeuillé une première fois en 1974 après le décès accidentel de sa fille Andrea, puis en 1994 par celui de son fils Pablo, longuement malade.

En 1992, alors que Robert Frank est au Japon, les artistes se rencontrent. C’est à cette occasion que Nobuyoshi Araki lui remet un scrapbook contenant la série exposée à la Bourse de commerce cette année, qu’il lui dédie. Dans ces images qui évoquent l’absence, la colère, mais aussi le désir et l’énergie de vivre tout à la fois après un deuil, les deux photographes trouvent un langage universel qui les rassemblent.

 

Shi Nikki (Private diary) for Robert Frank (2021-2022), une exposition de photographies de Nobuyoshi Araki qui a eu lieu à la Bourse de Commerce de Paris, du 8 décembre 2021 au 14 mars 2022.

© Victoire Dufay - ARAKI “Shi Nikki ( Private Diary)”, vue d'exposition Galerie 3, Bourse de Commerce

© Victoire Dufay - ARAKI “Shi Nikki ( Private Diary)”, Bourse de Commerce

© Victoire Dufay - ARAKI “Shi Nikki ( Private Diary)”, Bourse de Commerce

© Victoire Dufay - ARAKI “Shi Nikki ( Private Diary)”, vue d'exposition Galerie 3, Bourse de Commerce

Vue de l'exposition en Galerie 3, Bourse de Commerce - Pinault Collection, Paris, 2021. Courtesy Pinault Collection. Photo Aurélien Mole

Vue de l'exposition en Galerie 3, Bourse de Commerce - Pinault Collection, Paris, 2021. Courtesy Pinault Collection. Photo Aurélien Mole

Vue de l'exposition en Galerie 3, Bourse de Commerce - Pinault Collection, Paris, 2021. Courtesy Pinault Collection. Photo Aurélien Mole