L’univers data de Ryoji Ikeda

Lors de sa plus grande exposition européenne, l'artiste mesure des échelles de vie insondables dans des oeuvres audiovisuelles prodigieuses.

18.06.2021

TexteMiranda Remington

© Jack Hems, 180 The Strand, 2021.

Au 180 The Strand à Londres, les installations audiovisuelles de Ryoji Ikeda entraînent le public vers de nouveaux extrêmes cosmiques, au milieu d’éclairs lumineux et de systèmes planétaires dérivant lentement. Ici, chaque son provoque un mouvement de tous les éléments, de la cellule biologique au circuit imprimé, jusqu’au trou noir. Alors que les nombres s’agitent à côté du bruit blanc, l’univers numérique de Ryoji Ikeda questionne les limites de la recherche technologique et des capacités de la connaissance humaine.

Sous le commissariat de la Vinyl Factory, de FACT Magazine et d’Audemars Piguet Contemporary, Ryoji Ikeda présente d’intrigantes œuvres multimédia réalisées en 2021, dans ce qui est sa plus importante exposition personnelle jamais présentée en Europe. Figure de proue de l’art contemporain, reconnu pour associer la recherche en data au son et à l’image animée, l’artiste présente à Londres un condensé de son travail, mettant en lumière l’insatiable curiosité qui a guidé sa carrière.

 

Le code du cosmos

Le langage audiovisuel de Ryoji Ikeda s’articule autour de programmes et d’algorithmes, permettant la génération de codes-barres et systèmes binaires. Comme c’était le cas dans une oeuvre précédente test pattern — dont une version adaptée au lieu est présentée —, des programmes auto-écrits calculent un ensemble de données, comme le mouvement des visiteurs, retranscrit en son et lumière. Mais dans ces nouvelles œuvres, parmi lesquelles la trilogie Data-verse, l’artiste intègre davantage de données scientifiques, dont des datas mathématiques sous-jacentes à la cosmologie, à la physique quantique ou à la structure de l’ADN. Ces superbes images sont accompagnées d’une bande-son électronique, pour une rencontre étonnamment kaléidoscopique, amenant le public vers une tension sensuelle.

Grâce à sa formation en musique électronique, Ryoji Ikeda a la capacité de produire des sons calqués sur les phénomènes naturels les plus insaisissables, ceux des rythmes cérébraux, à travers l’IDM (Intelligent Dance Music). Ayant commencé sa carrière de DJ en 1990, il avait déjà produit une performance visuelle lors de la tournée de son album 1000 fragments, avant de se rapprocher de personnalités du monde de l’art de Kyoto. Ses projets ont évolué pour aller vers l’utilisation de données algorithmiques, notamment diffusées à travers des livres et des CD.

 

Entre faits et émotions

Dans la lignée des artistes phares de l’avant-garde japonaise, Ryoji Ikeda est porté par un insatiable désir d’expérimentation. Son esthétique minimaliste suit le mouvement historique de l’art conceptuel, du Fluxus au Mono-ha, tandis que la liminalité du son qu’il crée numériquement fait écho à l’obsession pour le « bruit technologique » des musiciens de l’underground japonais. Mais c’est notamment par sa mesure consciencieuse des phénomènes naturels qu’il peut être vu comme un successeur d’On Kawara — artiste conceptuel des années 1960 qui a tout au long de sa vie peint des dates sur des toiles monochromes —, immergé dans les horizons cosmiques de la recherche scientifique actuelle.

La minutie avec laquelle l’artiste investigue le champ de la philosophie des sciences amène le public à percevoir la tension sous-jacente à son œuvre, entre faits et émotions, et même, sous de silencieuses méditations, un secret désir de transcendance. Au-delà de ces différentes manières d’analyser l’œuvre de Ryoji Ikeda, ce qui frappe est sa dimension émouvante.

 

RYOJI IKEDA est exposé au 180 The Strand de Londres du 20 mai au 1er août 2021.

 

© Jack Hems, 180 The Strand, 2021.

© Jack Hems, 180 The Strand, 2021.

© Jack Hems, 180 The Strand, 2021.

© Jack Hems, 180 The Strand, 2021.

© Jack Hems, 180 The Strand, 2021.

© Jack Hems, 180 The Strand, 2021.

© Jack Hems, 180 The Strand, 2021.

© Jack Hems, 180 The Strand, 2021.