L’art du “rakugo”, le stand-up assis
Hérité des récits des prédicateurs bouddhistes, désormais laïcisé, ce seul en scène se compose d'un conteur qui emporte les rires du public.
© Cyril Coppini, conteur de “rakugo” français - Wikimédia
Le rakugo, que l’on peut littéralement traduire par « art de la parole qui tombe » revient en grâce sur les scènes japonaises. Né au XVIIème siècle et initialement circonscrit à la tradition bouddhiste, le rakugo connaît son âge d’or à l’époque Meiji (1868-1912) et notamment au sortir de la Seconde guerre mondiale où il prend sa forme actuelle. C’est aussi à cette période qu’il quitte la rue ou les appartements privés pour se nicher dans des salles de spectacles boisées, que l’on trouve encore à Tokyo ou à Osaka aujourd’hui.
Pourtant, si le rakugo s’est laïcisé, on trouve dans sa mise en œuvre tout l’ascétisme cher à la religion. Le conteur, rakugoka, seul sur la scène dénommée koza, s’assied à genoux sur un coussin de tissu dit zabuton. Une position qu’il ne quittera pas durant toute sa prestation. Une prestation qu’il déroule simplement vêtu d’un kimono et avec pour seuls accessoires un éventail de papier et une sorte de serviette en coton.
Une mise en scène ascétique
Aucun décor, pas plus de musique, l’artiste de rakugo n’utilise que ses expressions faciales, ses modulations de voix et ses accessoires pour donner vie à ses histoires humoristiques qui suivent un parcours bien précis : elles débutent par le prologue, où le conteur introduit son récit à venir et tente d’attiser la curiosité de son public.
Puis vient l’histoire en elle même, qui comprend souvent un dialogue entre deux personnages, tous deux interprétés par le conteur. Ses deux profils sont chacun des personnages, son éventail devenant tour à tour baguettes pour avaler un bol de nouilles, sabre ou encore livre, quand lui-même peut endosser en même temps les habits d’un samouraï et d’un marchand soumis ou d’un père de famille et d’un animal magique. Enfin, dernière étape de la représentation : l’épilogue. Fait d’une chute inattendue, d’où l’emploi du mot rakugo, il prend bien souvent la forme d’un calembours censé emporter l’adhésion et les rires du public.
Une modernisation qui passe par l’avènement de conteuses
Si le rakugo continuer de perpétuer les contes classiques, pour coller le plus possible à l’époque certains artistes introduisent de nouvelles histoires afin de conquérir un nouveau public. La représentation du rakugo quitte d’ailleurs ces dernières années les salles de spectacles pour s’afficher à la télévision notamment dans Shoten, un programme comique, dans des drama comme Tigre et dragon ou encore dans des mangas comme Showa genroku rakugo shingo (traduit en français chez Le Lézard noir sous le titre Le rakugo, à la vie à la mort).
Mais le rakugo n’a pas fait que moderniser ses contours, une révolution est à l’œuvre parmi ses membres. Si initialement les conteurs sont exclusivement des hommes, pouvant jouer lors de leur représentation des personnages féminins, quelques femmes se sont frayées une place dans cet univers masculin. Comme Niyo Katsura, figure de proue de cette génération de femmes comiques, récompensée en novembre 2021 par le Prix annuel des jeunes conteurs de la chaîne de télévision nationale NHK.
Celle qui est la première femme en cinquante ans à obtenir ce prix confiait d’ailleurs au quotidien Libération : « le rakugo n’est pas fait pour les femmes. Cela a été étudié pour être joué par des hommes, c’est le plus souvent joué par eux. (…) Cependant, je veux qu’on en finisse avec l’expression du rakugo façon femme. Je ne fais pas du rakugo à la façon d’une fille, je le fais comme des garçons et je pense que le fait qu’une fille fasse du rakugo n’est plus un problème. Que j’aie remporté ce prix le prouve. » Une manière pour le rakugo d’attirer un nouveau public, plus jeune et surtout, plus féminin.
Le rakugo, à la vie à la mort (2021), un manga de Haruko Kumota publié aux éditions Le lézard noir.
Rakugo (1993), par Anne Bayard Sakai publié aux éditions Picquier.
© Éditions Le Lézard Noir
© Éditions Picquier
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