“Buto”, la danse des ténèbres révolutionnaire
Né dans un contexte d’après-guerre rythmé par des mouvements contestataires, cet art subversif rejette les codes artistiques traditionnels.
© Courtesy of Keio University Art Center / Butoh Laboratory, Japan
Le Ankoku Buto signifie « danse de l’ombre » mais aussi « mouvements compulsifs dans l’obscurité ». Il est apparu dans les années 1960 grâce au pionnier Tatsumi Hijikata (1928-1986).
Inspirée des mouvements artistiques européens dont l’expressionnisme (courant pictural du XXème siècle) et le surréalisme (courant littéraire du XXème siècle), cette danse avant-gardiste a pour dessein de cicatriser les blessures traumatiques des bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki. Elle met aussi en scène les contestations des étudiants et artistes contre la présence militaire des États-Unis sur l’archipel nippon.
Une libération du corps
Imprégnée par le bouddhisme et les croyances shinto, la danse buto met à l’épreuve le concept esthétique en étant anti-conformiste. Sur une scène minimaliste, les danseurs au crâne rasé bougent leurs corps — considérés comme une œuvre d’art vivante — blanchis de poudre de riz et quasiment nus. Afin d’exprimer des émotions fortes comme la douleur et la terreur, les mouvements sont désarticulés, lents mais aussi grotesques. Les expressions faciales sont grimaçantes.
Provocant, violent, transgressif… Ce spectacle poétique, né dans la détresse d’un pays brisé, se révèle être une préfiguration de la mort par l’apparence spectrale des artistes. « Sur ces montagnes où ne pousse aucune herbe, cherchant mes pensées au milieu des souffrances, je me prends à devenir un fantôme », rédigeait le deuxième fondateur de cet art, Kazuo Ohno, dans les notes manuscrites accompagnant son oeuvre La mer morte (1985).
Kinjiki ou “Les Amours interdites”
En 1959, Tatsumi Hijikata scandalise le public avec la première représentation scénique de cette danse subversive. En adaptant le roman Kinjiki (“Les Amours interdites”), écrit par Yukio Mishima en 1953, il aborde un sujet encore prohibé au Japon, l’homosexualité.
Manifeste contre l’art établi, les normes sociales et la beauté conventionnelle, les danseurs transgressent les tabous imposés au corps. Les spectateurs sont alors témoins d’une nouvelle révolte où le personnage principal se travestit, parfois avec un phallus en métal autour de la taille ou étreignant un coq entre ses cuisses.
Aujourd’hui, l’héritage artistique des pionniers est toujours vivace et revendiqué par une nouvelle génération de danseurs buto. La danse conserve un aspect à la fois dérangeant et révolté. Ainsi, la compagnie de danse contemporaine Sankai Juku (« atelier de la montagne et de la mer »), fondée en 1975 par Ushio Amagatsu offre des spectacles organiques en jouant sur les formes et les couleurs.
Plus d’informations sur le buto sur le site internet du théâtre kyotoïte Butohkan (désormais fermé) qui lui était dédié jusqu’en 2021.
© Courtesy of Keio University Art Center / Butoh Laboratory, Japan
“KAGEMI-Beyond the Metaphors of Mirrors (recreation)”, © Sankai Juku
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