Le temps passé à souffrir n’a pas été perdu

Le recueil “Symposion — About Love 1996-2000” de la photographe inri se veut une ode à l’amour, une illustration des épreuves à surmonter.

28.06.2021

TexteHenri Robert

inri, “Self Portrait”

« Ces photographies réunissent des parties concentrées d’énergie. » Ces mots de la curatrice Michiko Kasahara au sujet de Symposion — About Love 1996-2000, recueil de photographies de l’artiste japonaise inri publié en 2020 —, illustrent une œuvre qui dépasse la frontière entre démarche artistique et personnelle. Une oeuvre qui offre la possibilité de s’extraire des épreuves nécessaires à l’atteinte du bonheur.

L’artiste japonaise inri est aujourd’hui célèbre pour le duo formé en 2000 à Beijing avec son mari Rong Rong, à l’origine du Three Shadows Photography Art Center — premier espace artistique contemporain chinois privé dédié à ce médium. Ici, il s’agit d’opérer un retour en arrière, de mettre en lumière ce sans quoi tout ça n’aurait pu être possible.

 

« Love = Photography »

Symposion — About Love 1996-2000 offre ainsi un autre éclairage sur l’œuvre d’inri. Qu’est ce qui réunit ses photographies réalisées entre l’âge de 23 et 27 ans ? Ni une technique, ni un style, ni un genre, un temps d’exposition ou un grain. Ces autoportraits — quand bien même le sujet n’apparaît pas sur certains d’entre eux — sont nés de multiples tentatives pour finalement adapter chaque œuvre à un esprit, une intention, résumée en ces mots par l’artiste : « love = photography ».

Les clichés en couleur, aux tons chauds, de la série MAXIMAX associent des moments de tension, de violence, d’explosion. Dans ce qui pourrait sembler une approche radicalement différente, 1999 Tokyo montre l’artiste en noir et blanc, dans des mises en scène évoquant le relâchement, l’abandon, l’arrêt, dans des environnements urbains ou naturels. Les clichés de Gray Zone voient l’artiste « s’emballer » quand Self Portrait met face à face son visage, sa peau et sa texture avec celle d’un cactus.

« Ces œuvres font ressentir aux gens une sorte de souffrance refoulée, le sort et la détresse de ceux qui n’ont d’autre choix que de s’exprimer artistiquement… Elle réunit ce qui doit s’articuler pour être dévoilé — son inquiétude refoulée, son impatience, son indignation, ses conflits et désirs, et toutes sortes de pensées, et les répand à sa manière devant l’appareil. Elle utilise l’appareil photo pour les extraire », analyse ainsi Michiko Kasahara.

 

Reprendre goût à la vie

« Quand j’ai pris ces photos, les jeunes, acceptant aveuglément les prédictions de Nostradamus, avaient le sentiment d’approcher l’apocalypse, la fin d’une époque. Écrasée par le sentiment très réel que la vie n’offrait aucun espoir, il me semblait que ma seule raison de vivre était d’attendre que l’humanité débute en juillet 1999 », nous explique l’artiste. Pourtant, c’est à ce moment que des rencontres, une prise de conscience, la découverte de l’esthétique propre à la photographie — notamment en travaillant autour de la danseuse Naoko Shirakawa —, lui ont « donné l’envie de vivre ».

Symposion, c’est l’histoire d’un chemin vers la lumière, sa propre lumière, une manière de lui donner vie. Après une année 2020 particulièrement difficile, marquée par un sentiment de détresse, inri explique vouloir transmettre à la personne qu’elle était à l’époque ce message : « Tu es seule, enfermée dans ta chambre, mais je veux te dire que ton monde a un avenir. Même si vous devez déchirer votre coquille et laisser votre moi intérieur, vulnérable, exposé, vous pouvez continuer à vivre en restant vous-même. Vous n’avez pas à changer. Le jour arrivera où vous vous associerez avec quelqu’un pour surmonter des défis, mener une vie ensemble, et l’horizon qui autrefois ne semblait offrir que l’obscurité s’ouvrira. Quand cela arrivera, vous vous rendrez compte que le temps que vous avez passé à souffrir n’a pas été perdu. »

 

Symposion — About Love 1996-2000 (2020) , un recueil de photographies par inri, publié par Three Shadows Photography Art Centre & Akaaka Art Publishing, Inc.

inri, “MAXIMAX”

inri, “MAXIMAX”

inri, “1999 Tokyo”

inri, “1999 Tokyo”

inri, “Gray Zone”

inri, “1999 Tokyo”

inri, “Self Portrait”