“Okinawa mon amour”, apprendre des marges
Pendant trois ans, la photographe Chloé Jafé a vécu avec les habitants de l'archipel, sondant leurs émotions et leur rapport à l'autre.

© Chloé Jafé
Okinawa mon amour, projet photographique de l’artiste Chloé Jafé, est un heureux hasard puisque la photographe n’avait pas prévu, lorsqu’elle pose pour la première fois le pied dans l’archipel d’Okinawa, d’y dédier une partie de son travail. Pourtant, elle tombe rapidement amoureuse de ce chapelet d’îles, les plus méridionales de l’archipel, de ses habitants et d’un homme. Elle y restera trois ans. Okinawa mon amour est le récit photographique de ses amours souvent passionnelles et parfois contrariées.
Chloé Jafé est une photographe indépendante. Née en 1984, elle est diplômée de l’école Central Saint Martins de Londres, où elle a travaillé au bureau de Magnum Photo de 2010 à 2012. Elle s’installe au Japon en 2013, d’où elle mènera un projet en trois chapitres : le premier, Inochi azukemasu, dédié aux femmes yakuza de Tokyo, le second, Okinawa mon amour, qui explore l’île d’Okinawa et sa culture et le dernier, Osaka Ben, où elle s’immerge dans le quotidien des habitants du quartier de Kamagasaki à Osaka.
« Je sonde les marges, montre ce que l’on ne voit pas d’emblée. La marginalité sociale avec les femmes de yakuza et les habitants du quartier de Kamagasaki à Osaka, la marginalité spatiale avec l’île d’Okinawa. Moins connues, ces sous-cultures font partie intégrante de la complexité du pays », explique Chloé Jafé dans un de ses comptes-rendus du projet pour le CNAP.
Traces laissées par l’armée américaine et les amants des love hotel
Okinawa mon amour est un mille-feuille de matériaux. Il y a les travaux photographiques de l’artiste qui a photographié les habitants de l’île et particulièrement les femmes — hôtesses, prostituées ou rencontres fortuites, de différentes générations — mais aussi celui dont elle était amoureuse.
On y trouve aussi des négatifs des années 1970 sur lesquels apparaissent des images de soldats américains, témoins de l’occupation de l’île et qu’elle a trouvés dans une maison abandonnée, promise à la destruction. « Ils me rappellent l’empreinte du passé, que je pouvais ressentir fortement, et la présence permanente de l’armée américaine sur ses nombreuses bases, soixante-quinze ans après la guerre… », peut-on lire dans le préambule de l’ouvrage. Et enfin des notes anonymes tirées des livres d’or de love hotel.
« Pendant trois ans, je me suis immergée dans l’esprit de l’île, mes images résultantes reflétant mon introspection, mes désirs et mes angoisses. Des notes anonymes tirées des livres d’or des love hotel sont devenues le fil d’une histoire d’amour pour laquelle je ne trouvais pas de mots. Empruntés à des inconnus, ces sentiments faisaient écho à mes expériences et à mes sentiments : Amour… Luxure… Ivresse… Tromperie… », explique la photographe. « Le sujet sur Okinawa a pris la forme d’un journal intime où j’explore mes angoisses et mes sentiments face à la féminité et à la relation à l’autre. »
En entremêlant les univers, les histoires personnelles et intime, Okinawa mon amour raconte, en noir et blanc, avec sensibilité, l’universel.
Okinawa mon amour (2020), un livre de photographies par Chloe Jafé publié aux éditions Akio Nagasawa.

© Chloé Jafé

© Chloé Jafé

© Chloé Jafé

© Chloé Jafé

© Akio Nagasawa edition
LES PLUS POPULAIRES
-
« C’est un plaisir sincère que mes objets soient reconnus comme appartenant au cercle du Mingei »
Les couverts de laiton soigneusement façonnés par Ruka Kikuchi dans son atelier de Setouchi sont appréciés dans tout le Japon et ailleurs.
-
« Le Mingei reste toujours insaisissable, cent ans après sa naissance »
Sō Sakamoto est un potier d’Onta-yaki, une forme de céramique datant du XVIIIe siècle mise en avant par Sōetsu Yanagi, fondateur du Mingei.
-
« On dit souvent qu’il faut apprendre de ses échecs… mais est-ce vraiment si simple ? »
Dans “Guide de survie en société d'un anti-conformiste”, l'auteur Satoshi Ogawa partage ses stratégies pour affronter le quotidien.
-
Du Japon vers le monde, des photographes appelés à s’imposer à l’international
Le T3 PHOTO FESTIVAL 2025 expose cinq photographes japonais émergents et confirmés, afin de soutenir leur rayonnement à l’étranger.
-
“Le Japon interdit”, l'oeil d’Irina Ionesco
Dans cet ouvrage, la photographe va au plus près des corps, révélant ceux, tatoués, de “yakuza” ou celui, érotisé, d'une artiste underground.



