Nobuyoshi Araki, le maître par le maître en un livre
Dans un ouvrage rétrospectif, le photographe irrévérencieux porte un regard sur sa propre carrière, en toute intimité.
© Taschen / TDR
Nobuyoshi Araki, célèbre à la fois pour ses témoignages photographiques du temps qui passe à la manière d’un journal intime, et pour ses mélanges d’images non datées où se figent des atmosphères intemporelles, offre à l’Europe un ouvrage rétrospectif atypique, où la chronologie classique n’a pas sa place.
À l’occasion du 40ème anniversaire de Taschen, éditeur de confiance de l’artiste, il propose un livre dense sorti le 16 octobre 2020, où se mêlent des photos de toutes les époques de sa vie. L’image de couverture, faussement innocente, contraste avec le nom de l’artiste controversé inscrit en grandes lettres, et appelle le lecteur à se plonger dans l’univers irrévérencieux du célèbre photographe.
Un témoin du changement d’époque
Né à Tokyo en 1940, Nobuyoshi Araki grandit près des quartiers rouges de Minowa et Yoshiwara au nord de la ville où travaillent les prostituées, qu’il côtoiera toute sa vie. Très conscient des zones troubles qui entourent la pudeur et la sexualité au Japon, oscillant entre censure sévère et absence de punition condamnant les pratiques, il s’en amuse, photographiant des femmes dénudées, des sexes en gros plan, des groupes libertins, des jeunes filles dans des poses suggestives.
Araki est passionné par la photographie de femmes, et cette thématique prend un tournant plus intense dans son travail après son mariage. Ses images irrévérencieuses montrent une fascination pour les prostituées et les hôtesses de clubs, muses libérées qui accueillent leur désir, femmes qu’il attache dans des cordes à défaut de pouvoir soumettre. Témoin du changement d’époque, Nobuyoshi Araki relève l’uniformisation progressive des paysages et des pensées dans son pays. Avec l’augmentation du puritanisme et des normes qui semblent s’installer au fil des années, on pourrait bien voir les sujets photographiés par l’artiste disparaître, et c’est probablement ce qui fascine dans son œuvre.
Les femmes comme êtres sexuels
Les photographies de Nobuyoshi Araki sont un témoignage de sa vie, où se reflètent ses centres d’intérêt, ses relations et sa mentalité provocatrice, qui l’amènera à lutter en permanence contre la censure au Japon. On retrouve dans cet ouvrage tous les thèmes chers à l’artiste : une majorité d’images de femmes, souvent nues, attachées par des cordes selon l’art du kinbaku, photographiées durant l’acte sexuel, jouant avec des clients dans des clubs libertins… La femme comme être sexuel est au centre de son œuvre. Il saisit l’ambivalence des représentations des femmes ; la pureté que la société leur prête et toute l’obscénité et la laideur qu’elles veulent bien offrir à sa caméra.
Mais Nobuyoshi Araki photographie également son environnement et les rues de Tokyo, livrant un témoignage intéressant sur les évolutions de la ville. De manière plus récente à l’échelle de sa carrière, il photographie l’intimité de sa maison, son chat et des fleurs, en particulier à la suite du décès de son épouse en 1990, qui le plongera longtemps dans un état morose et solitaire qui se reflétera dans son travail. Tel un journaliste un tantinet voyeur et au style brut, Nobuyoshi Araki montre le désir, les humains, la nature et la mort avec une absence totale de tabou, qui est devenue sa signature.
Araki. 40th Ed. (2020), un livre de photographies par Nobuyoshi Araki édité par Taschen.
© Taschen / TDR
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