Shizuka Yokomizo, entre exhibitionnisme et surveillance

“Dear Stranger” est l’histoire d’une relation troublante entre la photographe et le sujet, qui se rencontrent sans se voir.

02.06.2021

TexteHenri Robert

“Dear Stranger” - Shizuka Yokomizo

« Cher inconnu, je suis une artiste travaillant sur un projet photographique impliquant des personnes que je ne connais pas… Je souhaiterais prendre une photo de vous debout dans votre pièce principale depuis la rue, le soir ». Ainsi commençait la lettre qu’a adressé la photographe japonaise Shizuka Yokomizo à des inconnus entre 1998 et 2000 afin de réaliser sa série Dear Stranger.

Née en 1967 à Tokyo, Shizuka Yokomizo étudie la philosophie à la Chuo University avant de s’installer à Londres et de rejoindre la prestigieuse Goldsmiths University. Son travail, présenté par la galerie Wako Works of Art, porte essentiellement sur les rapports humains, les notions d’intimité, de temporalité et de distance.

 

Face à la rue, 10 minutes

La lettre continuait ainsi, dévoilant le processus et les consignes à suivre : « Un appareil photo sera installé à l’extérieur, face à la fenêtre, dans la rue. Si cela ce vous dérange pas d’être photographié, veuillez s’il vous plaît rester dans la chambre et fixer l’objectif par la fenêtre pendant 10 minutes sur __-__-__ (date et heure)… Je vais vous prendre en photo, puis partir … nous resterons des étrangers… Si vous ne voulez pas être impliqué, tirez simplement vos rideaux pour indiquer votre refus… J’espère vraiment vous voir à la fenêtre. »

Face à l’horizon nocturne, les sujets ne peuvent qu’apercevoir la silhouette de la photographe, et se retrouvent face à eux-mêmes, à leur reflet dans la vitre. Le fait que le sujet ne voit pas la photographe donne le sentiment qu’il ne voit pas non plus que le public l’observera. Face à ces clichés, l’observateur se sent dans une position de voyeur. Ce travail aborde nombre de thématiques, telles que les questions de surveillance et les limites de la sphère privée, l’exhibitionnisme, la collaboration ou le contrôle.

« C’est ma propre situation qui m’a amenée à faire ces photos. Quand je me trouvais dans un pays étranger, en tant qu’étrangère, avec un sentiment d’aliénation, ou d’éloignement », explique l’artiste dans une interview avec le photographe Takashi Homma. Et ce sont des pratiques culturelles qui peuvent sembler déroutantes qui ont intéressé la photographe, et ont fait naître ce projet. « En Angleterre, par exemple, la plupart des bâtiments ont des fenêtres donnant sur la rue et les gens avaient tendance à laisser leurs rideaux ouverts la nuit, afin que je puisse voir à l’intérieur pendant que je marchais dans les rues », poursuit Shizuka Yokomizo.

La série a notamment été présentée au MIMOCA de Kagawa et au National Museum of Modern Art de Tokyo.

Pour découvrir un autre aspect des travaux de Shizuka Yokomizo, la vidéo Forever (and again) (2003), dont des clichés sont à découvrir sur son site et qui fait partie des collections du Mori Art Museum, associe des images de quatre dames âgées en Grande Bretagne, jouant une valse de Chopin. Ici, la mélodie disparaît et réapparaît encore et encore, interrogeant la question du temps, sa nature à la fois éphémère et éternelle.

 

Dear Stranger (1998-2000), une série de photographies par Shizuka Yokomizo à retrouver sur son site internet.

“Dear Stranger” - Shizuka Yokomizo

“Dear Stranger” - Shizuka Yokomizo

“Dear Stranger” - Shizuka Yokomizo

“Dear Stranger” - Shizuka Yokomizo

“Dear Stranger” - Shizuka Yokomizo